Chapitre 2
J’ai changé d’école.
Dans la cour de récréation, j’aperçois deux camarades de classe taquinant un poil de potiron. Les deux ont réussi à feinter le rouquin le guidant dans un guet-apens. Le petit bonhomme à tête orange s’est engouffré dans une immense toile d’araignée. Il se débat maintenant comme il peut avec ses membres fébriles pour se défaire de ce tissu entremêlé dans sa chevelure et collé sur la peau de son visage et sur les fils de son pull.
La cloche sonne. Le son est claquant et grinçant. La maîtresse nous appelle au rang. Le timbre de sa voix ne s’accordait jamais avec celui du carillon.
La cloche sonne encore.
Seul au milieu de la cour, je suis accroupi. La maîtresse lève le ton d’un cran pour me crier dessus. Il est temps de me lever. Je me lève.
J’avais envie d’aller aux toilettes depuis le début de la récréation, mais en me levant ma poche cystique n’a pas réussi à retenir sa porte. Ma petite culotte blanche est trempée dorénavant. Mon pantalon, à la mode, en velours marron aussi. Les deux autres garçons méphistophéliques vont pouffer de rires. C’est évident.
L’institutrice va-t-elle m’humilier devant tous les autres ?
Va-t-elle se moquer de moi ?
Je suis en classe maintenant. Mon voisin du pupitre ne flaire rien.
La fin des cours est programmée dans une heure et quarante deux minutes. J’espère absolument ne pas être appelé sur l’estrade pour résoudre un problème de chiffres et de lettres. Au tableau, je serais la risée de toute la classe avec ce pantalon mouillé.
L’heure passe. Il reste une demi-heure et douze minutes de cours avant l’échéance. Nous sortons de la salle de cours. Les mamans et les quelques rares papas viennent chercher leurs rejetons.
La cour se vide.
Je suis seul dans la cour. Moun a du retard. J’attends sagement maman. Finalement elle arrive en voiture et s’arrête devant le portail de la cour de l’école. C’est une Renault, une 4L. Elle est blanche. J’ouvre le portail de l’école. Je ferme le portail derrière moi. J’ouvre la porte de la caisse. Je monte dans le caisson pour m’assoir, côté passager. Je ferme la porte.
Maman me demande :
- Andy, as-tu passé une journée radieuse ?
Mon pantalon a séché mais essayant de cacher ma gêne, je réponds timidement :
- Oui.
Moun redémarre. Plus loin, maman s’arrête chez le marchand de tabacs. Et puis, elle me lance :
- Tu viens.
Je réponds rapidement :
- Non, non.
Le jeune commerçant au crane dégarni et ses clients qui font la queue vont sentir mon odeur d'urine. Je reste assis confortablement dans la Renault. Je flippe.
Moun est parti acheter ses trois paquets rigides de Gitane bleus marines. J’attends.
Je crains les remontrances arrivé dans le nouvel appartement. Moun a du pif. Malgré ses fortes cigarettes brunes consommées, elle a dû sniffer mon odeur d'urine dans sa voiture.
Maman doit attendre certainement que nous soyons arrivés dans l’appart pour me jeter des verbes durs et des mots acerbes. Je crains l’engueulade.
Maman revient du libraire-buraliste avec ses cigarettes en main. Elle monte dans la voiture. Elle se tait. Elle met ses mains sur le volant. Elle démarre. Nous nous arrêtons sur une place du parking du nouvel immeuble. Nous sortons de la voiture blanche.
On prend l’ascenseur.
Dans le miroir de l’ascenseur, je regarde discrètement mon pantalon. L’ascenseur est en marche pour atteindre les sommets. Il s’arrête. Ses deux portes s’ouvrent. Maman et moi sortons de cet escalateur. Maman a sorti la clé de la maison. Nous sommes devant la porte. Je rentre dans l’appartement. Maman est toujours dans le couloir de l’immeuble.
Je longe le couloir du vestibule. J’attends à ce que Moun m’interpelle. Rien.
L’air de rien, sans l’air pressé, je continue mon chemin le long des plinthes de l’entrée. Dans ma chambre, je change mon pantalon et ma petite culotte.
Moun m’appelle pour goûter. Je savoure pleinement mon chocolat au lait demi-écrémé et mon pain beurre demi-sel.
Ni vu ni « senti », j’ai compris ce jour là ce que c’était d’avoir du bol. Et je savais maintenant que la chance existait vraiment.
Paolo et Moun sont depuis l’été dernier propriétaires d’un grand appartement, un T5. Nous habitons dans une tour dans un autre quartier de Vannes, à Kercado.
Il y a un lycée à côté de notre immeuble. C’est le lycée Alain René Lesage. Alain René Lesage a été romancier et aussi auteur dramatique. Il est né en France à Sarzeau en 1668. Alain a été traducteur des dramaturges espagnoles. Il connaîtra le succès avec Crispin, rival de son maître puis avec Le Diable boiteux. Ici, un jeune écolier découvre les pensées des humains et leurs songes, révélateurs de leurs plus grands désirs.
Paolo et Moun ont loué les deux premières chambres de l’appartement à deux plantureuses et eurythmiques étudiantes justement.
L’une était brune aux cheveux courts et presque noirs. L’autre fille plutôt châtain foncé aux cheveux longs. Non, la deuxième fille n’est pas blonde. J’aurai aimé les zieuter se déshabiller dans leur chambre avec un regard d’enfant. Une nuit, j’eusse rêvé même d’être une petite souris pour les mater secrètement. Je m’étais imaginé sous leur plumard visionnant leurs formes sublimes aux lignes bombées. Devant moi, j’avais sous mes petits yeux ronds et noirs leur petite culotte blanche et rouge collée sur leur peau des fesses arrondies. Les deux filles étaient grandes.
J’aimais bien Clara, la fille aux cheveux châtains. Sa culotte était rouge.
Dans ma chambre, la moquette est couleur apoplectique. Ce rouge ardent jure sur les fossés de mon circuit de voiture noir électrique. La moquette aurait pu être de la lave tout juste sorti de ce quelconque orifice volcanique surgi d’un coin de ma chambre fondant bientôt le bitume de mon jouet.
Ça choque un peu.
C’est l’apocalypse.
Sur ce champ enflammé mes Lego de couleurs sanguines qui traînent au sol ne sont pas faciles à discerner. Souvent, j’ai marché dessus le matin en me levant du paddock ou en revenant pieds nus de la salle de bain. Les plantes de mes pieds ou mes talons, les calcanéums, ont certainement subi mille cents fois ces arrêtes et ces angles tranchant qui ont déchirés ma chair et mes os.
À cette époque, le jeudi était le jour de repos pour tous les écoliers. Ce jour là, j’étais donc chez ma nourrice, Madame Kerplouz.
Plusieurs semaines avant cela, Julie, une des filles de Madame Kerplouz, m’aguichait déjà dans la cuisine. Agenouillée, moi assis dans mon siège haut pour bambin, elle me chatouillait le sexe avec ses mains à travers le tissu de mon short, tout en ricanant.
Elle m’énervait.
La garce profitait bien de la situation.
Dans le grand jardin du lotissement, je papote avec un pote de mon nouveau quartier, Benjamin. Je lui ai prêté mes petites voitures, mes Majorette, il y a voila quinze jours. Nous nous étions mis d’accord pour qu’il me les rende après une semaine d’utilisation.
Je lui demande :
- Quand me rends-tu mes jouets ?
Pour me répondre à ma question, il me certifie son géniteur herculéen beaucoup plus fort et pharaonique que mon Paolo. N’ayant pas eu de réponse appropriée, je monte le ton d’un cran, la conversation s’envenime. Sur le balcon, pas loin, maman écoute. De son trône, elle me convie à venir goûter.
Je monte.
Le goûter est déjà installé sur la table de la cuisine. Le bol est marron. Mes tartines de pain beurre demi-sel et confiture aux fruits rouges trempées dans mon chocolat chaud au lait demi-écrémé sont une bombance. Je fais ripaille. Dans l’action, Moun m’interroge :
- Andy, as-tu un problème avec Benjamin ?
- Non.
- En es-tu persuadé ?
- Oui.
L’insistance du silence de maman se fait lourde.
- ...
Une toute petite coccinelle rouge à points noirs, elle est posée sur mon épaule gauche, m’aurait-elle entendu soupirer :
- Je lui ai prêté mes petits jouets à quatre roues, il y a quinze jours, et il ne veut plus me les rendre.
Maman reprend :
- Andy, veux-tu que nous allions les chercher ?
Je réponds clairement :
- Oui.
Barre d’immeuble. Il n’y a pas d’ascenseur dans le hall. Moun et moi gravissons promptement les premières marches dans la cage d’escalier. Après trois étages, j’étais essoufflé avec mes petites jambes. Elles devenaient comme celles des petits vieux en fin de parcours. Tremblantes.
Devant la porte du petit voleur, maman se presse d’utiliser la sonnerie. Une autre mère ouvre la lourde. C’est la maman de Benjamin. Explicitement, Moun balance mon problème. L’autre mère convie sans hésiter son fils à me rapporter sur le champ toutes les Majorette qu’il m’avait emprunté.
Sur ce coup, je sais que, sans l’intervention de maman, jamais mes petits jouets à quatre roues ne seraient revenus s’asseoir sur ma belle moquette écarlate.
En peu de temps, j’avais découvert quelques facettes macabres de l’idiosyncrasie humaine. L’animal était intimidateur, moqueur, voleur et violeur. Ces modèles représentaient-ils donc vraiment le monde des grandes personnes, le den (l’homme moderne en breton) ? Nos prairies étaient-elle donc ce champ de ronces ?
C’était pourtant sur ces terres que j’avais appris à faire du vélo. Déçu et blessé, j’ai cru un instant, déjà, pouvoir réinventer l’espèce humaine tout comme ce projet non rocambolesque de notre médecine génétiques actuelles.
Aujourd’hui, je compare facilement l’espèce humaine à un vieux puits de campagne. La paroi du puits, c’est l’enveloppe corporelle de l’homme. La terre ou les roches l’encerclant sont les croyances établies et les traditions de l’homme.
Le puits est ancré dans ses terres, asphyxié, serré.
L’eau au fond du puits, c’est le savoir et l’intelligence de l’homme. Qu’il y ait une réserve d’eau ou un lit asséché, les croyances et les traditions sont pour l’espèce humaine une barrière à son épanouissement.
Ceci est MA vérité. Tout comme la musique et le miroir sont pour moi mon église.
L’église est un espace pour se recueillir et pour rencontrer les gens de son village ou de son quartier. Qui n’a jamais écouté de la musique quand tout ne va pas et n’est-elle pas un moyen pour communiquer avec les gens d’une autre langue ? Qui ne sait jamais regardé dans une glace pour reprendre confiance quand tout ne va pas ?
Et ne dit-on pas avoir la conscience tranquille quand on peut se regarder dans un miroir ?
La vraie vérité est en chacun de nous.
Téméraire, je me suis engouffré un dimanche après-midi dans le parking souterrain de notre immeuble, une haute tour de vingt deux étages. La galerie du parking est sombre et lugubre. Le plafond gris, le parterre tacheté de noir, tâches d’huiles et de caoutchoucs usés, et les murs tagués ajouté à l’odeur âcre et d’humidité ont terrassé mon petit gabarit.
Au centre de cette allée centrale, j’ai eu un bref moment de solitude englouti par la lourdeur neutralisante du milieu. C’est sûr, cet endroit n’est pas fait pour moi.
Paolo et Moun avaient raison. D’ailleurs, ils m’en avaient interdit l’accès me prévenant d’une lourde punition s’il m’y prenait à l’intérieur.
Il fallait sortir de ce trou maintenant. Dehors, j’étais tout penaud pour avoir enfreint la loi de mes parents. Mais l’enfance brave les interdits, c’est bien connu.
L’apprentissage est une expérience qui forme la particularité de chacun.
Maman m’avait appris plus tôt à ne pas prendre tout pour une vérité.
- Andy, ne crois pas tout ce que l’on te dit avec certitude.
Paolo et Moun ont fait de nouvelles rencontres. Ce couple habite dans une vieille maison à colombage dans le vieux Vannes.
Au premier étage, un seul long couloir traverse l’appartement tout comme la colonne vertébrale maintient la tête et les quatre membres. Celui-ci est parsemé de portes donnant accès à la cuisine, au salon et au séjour, au petit coin et à la salle de bain, aux chambres.
Je me souviens des trois ou quatre paires de pieds entremêlés débordant au bout du lit sous le drap blanc. Ce poster est affiché dans le water-closet faisant office aussi de salle de bain.
Dans la cuisine, la fraicheur du fenouil et des autres légumes frais ont titillé souvent mes fosses nasales. Les parfums d’Orient tels que les paprikas, les curry ou les épices d’autres horizons, je m’en souviens encore.
Marie-Paulette sait cuisiner. Ses préparations culinaires valaient autant celles des grands chefs parisiens d’hier et d’aujourd’hui.
Au rez-de-chaussée, il y a le salon de coiffure. C’est Édouard qui coupe. Édouard, c’est le coiffeur de renom du pays vannetais. C’est aussi le mari de Marie-Paulette. C’est comme ça que maman a rencontré Édouard et sa femme à l’accueil du salon.
Édouard ne coiffe que les dames.
La vitrine du salon à pignon sur une rue piétonne au pied d’une des plus vieilles portes de la ville close. La porte Prison. Au Moyen Âge, elle s’appelait la porte Saint-Patern. Patern, le père de la Bretagne. Le cul de la cathédrale Saint-Pierre n’est pas très loin.
En plus d’être un coiffeur de renom, Édouard est un grand joueur de tarot. C’est un costaud, il se bouffe plusieurs championnats partout en France.
Au fil des nuits, des parties de tarot se sont succédées autour de la table ronde dans le salon au premier étage. Le tarot, c’est un jeu de cartes pour grande personne.
Je dormais sur le tapis au pied de la chaise de maman. Comme ça, je voyais les pieds de maman et ceux des autres. Ceux de la table ronde sont fixes et impénétrables.
Édouard et Marie-Paulette De La Jacques Dubois Fleuri ont un chien, c’est un vieux labrador. Son manteau est fauve.
Sous la table ronde, il dort souvent à côté de moi.
Un jour, il est mort. Je n’avais donc plus de compagnon sous la table ronde. Maman me proposa de dormir dans un lit d’appoint dans la chambre du fils des De La Jacques Dubois Fleuri, au fond du couloir. C’est un long couloir, étroit et grinçant.
Pascal a mon âge.
Je dors toujours sur le tapis. Je trouvais ce tapis carrément moins agressif optiquement que ma moquette sanguine.
Pascal m’a proposé de dormir avec lui dans son lit. J’avais trouvé cela bizarre. C'est un grand lit d’adulte où l’on peut caser huit garnements de notre taille comme des maquereaux ou des sardines confinés dans leur boîte de conserve. J’ai refusé.
Dans un coin de sa chambre, j’ai dormi une seul fois dans le lit d’appoint.
Maman se bronze le dos, les mollets et bien sûr la plante des pieds. On oublie toujours la plante des pieds. Maman et moi sommes sur la plage. Nous sommes à trois pas du Château de Suscinio. Ce château se trouve à vingt sept kilomètres de Vannes tout près de Sarzeau sur la presqu’île de Rhuys.
Le Golfe du Morbihan n’est pas loin.
Moun se retourne. Je la trouve super jolie avec son bikini blanc, rose et orange. Son bikini, il est tout blanc avec des grosses fleurs aux pétales roses fuchsias et aux pistils orangés.
Malgré ses tous petits seins, le corps de maman est un corps à désirer ou à prendre.
Pas loin d’elle, je me permets la reconstitution des grands architectes d’hier, essayant en sable la reconstruction de l’ancienne résidence secondaire des Ducs de Bretagne.
D’un coup d’œil averti, je vérifie la couleur cuivré de l’épiderme maternelle. Moun pourrait s’endormir au soleil et je n’aimerais pas qu’elle se cuise les cuisses et les fesses.
Lâchant mes pelles, mon sceau et mon beau château de sable, je m’assieds sur le talus au sommet de la plage près d’un vieil épineux. À l’image des vieux cheveux gris des vieillards centenaires, le tronc de l’arbre est comme métallisé et grisonnant. L’arbre a de belles racines au pied de son tronc majestueux.
De loin, je couronne mon beau palais fait de sable. Ma forteresse est bien montée.
D’ici, il est doux et agréable de mater toutes ces formes des fessiers et des seins si bien arrondis de ces femelles exquises, toutes désirables.
Au loin, il y a le flux et le reflux de l’océan bleu, blanc et vert.
Le soleil brille au zénith.
Quand, bien absorbé par cette carte postale, deux gaillards en costard et cravate à peine plus âgés que moi, deux ou trois ans tout au plus, me poussent sur l’épaule.
Ils m’affirment sans preuve ce lieu comme un bout de terre leur appartenant :
- Ce lieu est à nous, tires-toi de là, sinon on te fait une tête au carré.
Je sais que je n’ai aucune chance devant ces deux vilains garçons. C’est une évidence. Ils sont deux. Du coup, j’ai rejoins maman et ma belle forteresse la queue entre les jambes. Mon maillot de bain camouflait mon ridicule.
Je n’étais pas courageux devant l’agressivité. Aujourd’hui encore.
Selon moi, l’agressivité n’a jamais été un moyen de communication à proprement parlé. D’ailleurs, je ne me suis pour ainsi dire jamais battu depuis. Et puis devant les cons, il vaut mieux se taire. Ils ne nous apportent rien, sinon que de la fierté pour soi-même d’être moins con qu’eux.
Dans un début d’après-midi d’automne, nous sommes partis à la campagne à la cueillette de champignon dans les champs. Avec Pascal et Pascale, la sœur de Pascal à peine plus âgé que lui, nous courions dans les champs.
Quelle joie de courir à tout va dans les prés.
Pendant ce temps, Marie-Paulette et Moun, elles, se cassaient le dos à chercher les champignons cachés en dessous les feuilles mortes couleurs ocres jaunes et ocres rouges. Soudain, les deux mamans nous appellent fortement. Pas beaucoup de champignons. On monte dans la voiture. On change de coin.
On redescend du carrosse. Plus loin, au bord d’un talus, Pascal, Pascale et moi escaladons et tournions autour de jeunes feuillus. Marie-Paulette et Moun, elles, ont repris la cueillette sous les chênes d’un autre talus du champ pour dénicher espérons-le les fameux cèpes de Bordeaux.
Le cèpe est un basidiomycète du genre bolet. Marie-Paulette et Moun débusqueront-elles aussi les quelques girolles jaunes orangés si estimées ?
Soudain les deux mamans nous font des signes alarmants avec leurs bras. Les deux ont l’air affolé. Les vaches, loin dans le champ, ne sont finalement pas des vaches.
Non.
Ce ne sont pas des vaches.
Nous avions pénétrés à notre insu le territoire d’un troupeau de taureaux. La situation devenait alors des plus incertaines. Notre position, moi, Pascal et Pascale, devenait du coup très dangereuse. Nous avions deux cents deux mètres à faire pour sortir de ce pétrin avant que les bestiaux cornus nous rattrapent. Les bêtes étaient déjà élancées. Elles avaient commencé leurs courses bien avant nous. Pour nous, trois bambinos hauts comme trois pommes, le sprint était des plus délicats sur ce terrain qui ne ressemblait pas franchement à celui d’un circuit olympique les plus plats.
Les bêtes nous rattrapent.
Un instant pendant la course, j’ai pensé à ma chair pris au piège sous une tonne de viande rouge et martelée de coup de sabot me piétinant. Je me retourne. Je me retourne à gauche pour mater Pascal. Il est sain mais pas encore sauf. Sa sœur est devant moi.
Les taureaux sont tout près maintenant.
J’aspire vivement à sauver mon âme et mon corps. Il ne faut pas tomber. D’un œil, je lorgne derrière moi. Un taureau me fixe. J’ai vu ses petits yeux. Noirs. J’ai senti son souffle sur mon épaule et l’odeur fauve de l’animal.
Il cavale.
Entre son museau et moi trois mètres nous séparent. La machine à concasser est toute proche. J’imagine le pire maintenant. Pourtant, dans le chahut de ces milles sabots, la chance est encore au rendez-vous. La bête a changé subitement de chemin bifurquant enfin sur les cris et les hurlements de nos deux mamans affolées qui ont dû voir perdre leurs trois rejetons.
Encore une seconde et l’animal me broyait.
Il était si proche de moi.
Cependant d’autres taureaux cavalent derrière nous. Le périple n’est pas terminé. Pascal me scotche derrière mais est-il toujours en vie ? Moi, j’ai encore vingt et un mètres à faire. La course est bientôt finie. Pascale est sortie du pré. Enfin, les deux nourricières nous rassurent. Leurs bras nous enveloppent.
Derrière le talus, je regarde une dernière fois ces bêtes qui ont failli nous mettre en bouillie.
Nous changeons de prés.
Pascal est fan de la plantureuse et divine Marilyn Monroe.
Moi, je préfère Mireille Darc. Il faut la contempler dans sa tenue immaculée au large décolleté dorsal dans La Grande Sauterelle avec Alain Delon. Sa robe blanche et collante affirmant délicatement les courbes de son corps met son corps tout entier en valeur, des deux ongles vernis de ses gros orteils aux deux coins de ses lèvres pulpeuses laissant deviner ce sourire tout juste coquin.
La scène est au milieu du film avec Hardy Krüger.
Avec elle, j’aurais aimé faire des cabrioles, caresser ses belles guiboles et gambader avec elle dans les prés voire au mieux dans les dunes perdues au milieu du Sahara algérien.