Chapitre 4
Mes parents ont vendu notre appartement de Vannes, je n’ai plus mes huit minutes à faire pour aller à l’école en guibolles. Nous avons déménagé pendant les grandes vacances. Tous les quatre habitons maintenant Larmor-Plage.
Larmor-Plage c’est la station balnéaire de Lorient.
C’est.
Sur l’autre trottoir de la rue où nous avons aménagé, rue du Petit phare, il y a le Camping du Petit phare. De l’autre côté du terrain aménagé pour les campeurs, il y a effectivement un petit phare.
Il est tout blanc et le chapeau rouge vif. Je le vois de la fenêtre de ma chambre. J’ai su en arrivant que ce camping aurait été un sublime terrain de jeu pour moi en dehors de la période estivale.
C’est sûr, j’aurai l’occasion de rencontrer les week-ends les autres gamins du quartier.
Paolo a changé de travail. Il est maintenant agent immobilier dans une petite agence.
Son patron roule en porche rouge.
J’étais assez fier de mon père de le voir responsable de son agence.
La boîte mère se trouve à Brest.
C’est encore l’été et les rayons du soleil frappent le canapé ocre rouge du salon. Je suis assis à côté de Zoé, la fille du libraire vannetais.
La fille est en week-end chez mes parents. En lorgnant son décolleté, à côté de moi, les images saccadées de Zoé avec sa poitrine nue déambulant sur la plage de l’île d’Houat refaisaient surface. Je me rappelais avoir senti un de ses durs mamelons sur moi. Ses pléthoriques nibars m’interpellent toujours et toujours. La vue appétissante sur cette faille profonde et presque secrète de son décolleté m’engloutisse désespérément dans un langoureux désir.
Lui caresser les seins.
Je suis toujours habillé à côté d’elle dans le canapé du salon.
Ne rien faire accélère subitement mon rythme cardiaque. Le tempo et les tempi des battements de mon cœur deviennent vite chaotiques.
Je suis trop gourmand.
Zoé transpire. C’est l’été.
Discrètement, ma petite main se faufile. Ma petite main est passée entre ces deux gros ballons. C’est chaud comme deux croissants encore chauds.
J’aurai aimé poser mes doigts sur le mamelon d’un sein. Le monticule d’un mont pour atteindre mon objectif. J’aurai pu m’attarder sur les détails de l'aréole puis du tétin pour mieux le titiller.
Mais Zoé, plus rapide, est intervenue. Sa main a rattrapé et stoppé radicalement mon élan.
- Tu es un coquin ! Qu’elle me lance.
Elle me retira la main.
J’étais vexé.
J’aurais aimé être un grand à ce moment là pour avoir le droit de continuer à toucher sa peau et ses formes. J’étais malheureux. Une conquête entière de ce corps féminin que j’avais imaginé plausible dans ma course m’échappait.
Aussi je savais que ma raison de vivre était maintenant de grandir au plus vite pour découvrir ce temple.
J’imaginais le con magique.
Aussi, attiré par le genre féminin, je voyais mon contraire comme un corps à ausculter.
À croire mon comportement, nous pourrions imaginer que j’étais guéri de mes attouchements. Pourtant j’ai pleuré devant le portail de ma nouvelle école, Notre Dame de la clarté, le jour de la rentrée des classes.
Le chemin du douanier sépare la plage de ma nouvelle école.
Je craignais effectivement de manière inconsciente que l’on me touche une nouvelle fois.
Une maîtresse de l'école, c’est une copine à mon père, me rassura rapidement dans ses bras.
Maman devait me laisser pour ne pas être à la bourre à son travail.
Curieusement, j’avais sympathisé rapidement avec deux de mes camarades de classe, Éric et Agnès. En première année du primaire, les week-ends, Agnès et moi allions régulièrement chez Éric.
Au premier jour d’école, j’avais remarqué Agnès parmi toutes les autres bouilles féminines de la classe.
J’étais tombé amoureux véritablement.
Le week-end, nous passions une partie de notre samedi après-midi dans la chambre d’Éric. Parfois on jouait dehors sur la plage devant chez Éric.
Du bureau privé du père de Éric, au premier étage, nous avions une vue approchée sur la citadelle de Port-Louis, de l’autre côté de la rade avec la longue-vue. Nous pouvions aussi regarder de près les voiliers qui sortaient de la rade ou qui rentraient au port.
La chambre d’Éric est au rez-de-chaussée. La pièce est étirée. La porte-fenêtre s’ouvre sur le jardin.
Nous jouions parfois tous les trois au papa et à la maman.
À ce jeu, Éric jouait toujours le rôle du père. Pour prétexter ses heures de labeur, il jouait seul dans le jardin ou dans sa chambre.
La règle de la hiérarchie familiale n’encourageait-t-il pas le mari à apporter le beurre pour vivre, boire et manger ?
C’est toujours moi qui jouais le rôle du bambino. Je singeais donc l’enfant sans trop de peine aux pieds des chevilles d’Agnès dans une studette destinée aux convives des vieux de Éric. C’est une annexe aménagée derrière la maison principale.
Ce lieu nous rend bien service. Nous l’avions aménagé comme notre foyer pour le jeu.
Comme dans un cocon, durant les grandes vacances, après une année de pusillanimité, enrobée quand même de délicatesse et de galanterie timide, je m’étais enfin décidé à déclarer mon amour.
Seul tous les deux, je trouvais la situation facile pour séduire Agnès. Mais elle refusa mes avances. Pour toujours.
C’est elle qui me la dit.
Ne faillant pas à ma fierté, j’ai essayé à ne pas dévoiler mon chagrin.
Doucement, j’ai glissé dans une décrépitude mentale. J’avais perdu l’envie d’apprendre. C’est pourquoi mes notes qui suivirent en deuxième année du primaire furent catastrophiques.
J’étais déjà comme un grand garçon. J’avais imaginé Agnès comme ma femme pour la vie. Un large chiotte turc n’aurait pas suffit pour évacuer toute ma détresse et tout mon désespoir.
Les notes de ma première année avaient pourtant été radieuses. En deuxième année mes notes ont dégringolé de manière prodigieuse.
Aussi, Moun et Paolo m’ont interrogé sur ce gouffre vertigineux :
- Que se passe-t-il à l’école cette année, Andy ?
Impénétrable, j’ai répondu :
- Je ne sais pas. Pourquoi ?
Mes parents, tout les deux :
- Hum...
Moun et Paolo se sont interrogés quelques heures voire plusieurs semaines.
Sans tous les éléments, ils conclurent, finalement, que j’étais devenu jaloux de l’affection de Moun porté sur Léonardo, mon petit frère.
Paolo approuva mais il en n’était pas forcément convaincu. Les conclusions affirmées par Moun étaient de l'astigmatisme.
C’est à ce moment là que j’ai décidé de me couper du monde.
Paolo s’était offert un bateau en bois de sept mètres dix sept de long précisément avec son gros moteur hors-bord de cinq cents chevaux. Je ne compte pas les fusées de détresse obligatoire, les gilets et la bouée de sauvetage en forme de fer à cheval et la corne de brume.
En option, Paolo s’était acheté trois casiers pour remonter des crabes et des araignées, des homards et des langoustes, deux filets de cinquante mètres et six lignes de traîne comprenant dix hameçons chacun.
Le dimanche matin, quand la météo ne permettait pas une sortie en mer avec Laure-Eva, c’est le nom que nous avions attribué à notre barque, Paolo se mettait à table, accoudé à son journal, pour se goinfrer dans le séjour des bonnes et des mauvaises nouvelles de l’Ouest-France.
La table est costaud.
Lorsque midi sonnait dans le séjour, Paolo se tournait devant l’écran de la télévision pour s’empiffrer des bonnes blagues du Petit rapporteur.
L’émission reconnue pour son humour caustique était présentée par Jacques Martin animée par les grands compères de l’époque en passant par Pierre Desproges.
Bienvenue au club et bienvenue à Montcuq.
Montcuq, c’est une petite commune du Lot dans les Midi-Pyrénées. Si vous devez vous y rendre, accompagnez vous de Pierre Desproges. Ce comique se transformera en excellent guide touristique.
Si Paolo regardait avec ferveur Le petit rapporteur, il avait comme émission fétiche L'École des fans.
D’ailleurs, je trouvais cela assez frustrant de voir mon père s’émoustiller avec autant d’enthousiasme devant ces autres gones invités à cette école.
Ils étaient tous autant timides que moi.
J’aurai préféré que Paolo s’occupe de moi et de Léonardo.
Quand certains étaient désinvoltes devant la caméra, j’essayais de me rendre intéressant devant Paolo.
Le hors-bord de cinq cents chevaux fragilisait à haut régime les tympans lors des traversées expéditives pour approcher au plus vite les côtes de l’île de Groix au large de Lorient.
Nous avons ancré une fois le bateau au milieu d’une crique à cinquante deux mètres d’une plage minuscule et déserte. De la terre ferme la plage est difficilement accessible.
Au bord du rivage, la mer était aussi pure et limpide que l’eau de roche.
On pouvait voir distinctement la couleur du sable ocre jaune, des galets blancs et gris, des algues vertes ou marron se faufilant au gré du courant, des petits poissons argentés ou colorés et des crabes rouges, les dormeurs, filant de cache en cache dans les crevasses des gros cailloux et des rochers.
Au retour de Groix, nous mettions le moteur à bas régime pour pêcher à la traîne plein de maquereaux. Il faut tomber sur le banc.
Les maquereaux n’ont pas de vessie de flottaison comme la plus part des autres espèces de poissons. Ils sont donc obligés de se déplacer sans cesse pour ne pas plonger dans les profondeurs.
Cela leurs permettent de garder la ligne.
Et comme tout effort mérite repos et récompense, c’est sur un tapis de sable au fond des abîmes qu’ils hivernent en troupe pour récupérer de leurs inlassables parcours de l’année restante.
Avec leurs chemises grises, bleues, vertes, argentées et rayées d’un noir profond, s’ils n’ont pas encore de sobriquet, je les surnommerais « les zèbres des abysses ».
Leur chair au goût particulier, il est vrai un peu puissant et poivré, en fait un poisson pas souvent apprécié. Pourtant, c’est un poisson délicieux cuit à la poêle au beurre demi-sel et à l’huile d’olive. Sur le vif de la cuisson y mettre le trois quart d’une cuillère à soupe de moutarde de Dijon.
Dans l’assiette, ajoutez un mélange de cinq baies, un peu de fleur de sel de Guérande et un filet de jus de citron vert.
Accompagnez le maquereau suivant votre appétit de deux, trois ou quatre petites pommes de terre nouvelles cuites à l’eau surmontées d’une noix de beurre.
C’est un régal.
En dessert, je vous propose un pamplemousse rose imbibé de miel d’acajou ou de sucre roux gratiné au four. Un délice.
Pour les amateurs de vin rouge, un Domaine L’Aiguelière Coteaux-du-Languedoc Montpeyroux Côte Rousse 2005 pour ce poisson et ce dessert sera parfait.
À cette époque, Moun nous concoctait une authentique ambroisie grâce aux poissons péchés dans les filets de Paolo.
C’est une soupe de poisson au goût très proche d’une bouillabaisse de Provence. Maman utilisait les vieilles et les dormeurs chopés dans les filets et les casiers de Paolo.
En Bretagne, la vieille et le dormeur sont les noms du labre et du tourteau.
Moun gavait le mixeur, une marque allemande. Les vieilles et les dormeurs étaient déjà hachés et broyés grossièrement par les soins de maman. Au cours de la cuisson, le sublime des saveurs, certainement parfumé de safran et d’huile d’olive, fleurait dans toute la maison.
Lorsque le met était servi dans l’assiette creuse ou dans un bol chacun de nous pouvait épicer cette gourmandise de rouille, ailloli aux piments rouges, ou le garnir de croûtons grillés, sautés au beurre, en les bouchonnant à l’ail. Parsemez une poignée de parmesan râpé sur l’ensemble. Incorporez une cuillère à soupe de vin rouge. Pour les adultes, c’est la cerise sur le gâteau. Effet garanti.
C’est ce que l’on appelle mettre du raisin dans son potage.
Tu te régales et tu te tais.
Il y a un monde de silence. C’était tout simplement inexplicablement bon. Ce cocktail de fruit iodé se glissait dans la gorge comme un dessert idéal.
Que dire de plus. Je félicite Paolo pour sa bravoure. Sans les deux filets et ces trois casiers ce truc magique n’aurait jamais vu l’existence dans nos gamelles. Je remercie évidemment ma divine mère pour sa petite sauce dans la cuisine et je salut notre mer chargée de ses fruits si délicieux.
Moun, Paolo, les De La Jacques Dubois Fleuri et les Jakous de Paris sont toujours aussi complices.
Cependant les soirées de parties de tarot sont moins souvent organisées.
Toujours l’alcool aussi festif, nos six acolytes se sont trouvé une nouvelle passion. Cadre dans une agence immobilière et participant à la Foire Exposition de Lorient, Paolo a négocié un marché à bon prix avec un exposant, un viticulteur venu d’Aquitaine.
Tous les étés, nos six complices se font livrer une quantité astronomique de vin bordelais en cubitainers de vingt-cinq litres. Chaque livraison compte six cents à neuf cents litres de bordeaux.
La drôlerie de ce nouveau plaisir, c’est de transvaser le contenant des cubitainers dans les bouteilles encore creuses. Certains de l’équipe ont la tâche fastidieuse de vider les cubitainers.
Les bouteilles se remplissent mais pas qu’elles.
Quelques verres traînent ici et là.
Mon rôle est de placer les bouchons de liège dans une fente de la très lourde boucheuse en fonte. La boucheuse à trois pieds. L’outil a été attrapé chez mon grand-père, Zo.
Zo a été ferrailleur et chiffonnier à une époque de sa vie, après la Deuxième guerre mondiale.
Quand le bouchon est placé dans la fente, maman active de tous ses bras le long manche de l’engin. Le bouchon est ainsi étranglé par les fers de l’engin et se loge sans avis dans la gorge de son nouveau réceptacle. Les bouchons ont été préalablement ramollis dans un seau d’eau la nuit entière.
Après quoi, maman ou moi enlevions avec délicatesse la bouteille assise sur son socle à bascule de la boucheuse. Le retour du socle pouvait casser la bouteille.
La bouteille est prête à être étiquetée.
Quand une cinquantaine de bouteilles avaient leurs bouchons pris dans le goulot nous les étiquetions justement. Il faut les étiqueter.
Les étiquettes sont déjà préencollées. Baignées dans une bassine depuis deux heures pour dessécher leur colle les vignettes sont enfin mûres pour être placardées sur leurs nouvelles pyxides bourrées de sang christique.
Il nous fallait deux jours d’un bon week-end pour transférer tout ce liquide des cubitainers au sein de toutes ces bouteilles.
Le week-end était joyeux.
Après cela, les adultes se chargeaient de remplir le coffre des voitures.
Deux ans plus tard.
Maintenant je connais tous les coins de rue de Larmor-Plage. C’est une cité huppée. Certains commerçants de Lorient ont d’ailleurs construit ou acheté leur nid dans les rues de cette cité.
Le père d’Éric, par exemple, est directeur régional d’une enseigne aux prix très compétitifs. C’est un supermarché.
C’est l’hiver. Durant les vacances de février j’ai été invité à suivre Éric avec ses parents à La Plagne pour l’accompagner. C’est en Savoie dans les Alpes.
La Plagne est une station de sports d’hiver créée en 1961.
La Plagne, c’est une araignée dorée couvert d’un manteau de fourrure.
Tout en haut sur les côtés de la piste verte la neige est poudreuse. Et sur l'initiative d’Éric exigeant nous avons tenté du hors piste.
Une fois.
Après neuf coudées, courte distance, j’avais malencontreusement égaré mon ski gauche. Mes mains sont glacées dans la neige à chercher le ski perdu. Après treize minutes de fouille, nous avons repris la piste.
Fin de matinée.
Maintenant avec les parents, le frère et la sœur nous passons à table. En entrée, une salade verte. Le manche à balai dans le cul, la sœur d’Éric me lance :
- Peux-tu ne pas couper ta salade pour la manger. Tu dois plier la feuille en quatre et la piquer. Tu goberas ensuite la laitue en faisant garde qu’elle ne se déplie pas. Il ne s’agit pas d’arroser de vinaigrette les murs ni tes proches voisins de table, d’ailleurs.
Ironiquement, j’ai pensé :
- Ma belle, surveille ton fessier sinon je vais te les caresser sévèrement avec mes couverts.
Il y a eu un silence dans la salle.
Huit mois ont passé. C’est l’automne.
La Sologne est une région de plaine. Pays parsemé d’étangs, de landes et de belles forêts. La région est prisée pour sa pêche et la chasse à foison.
D’ailleurs la chasse était la passion du père d’Éric et nous y sommes allés, un week-end, en Sologne. Le Range Rover était jaune moutarde tirant sur un jaune caca d’oie.
La route a été longue.
Sur place, le père d’Éric et ses compagnons de chasse allaient à pied dans la nature. Il faut les imaginer habillés en vert kaki, façon militaire, les bottes marron, leurs fusils ouverts et chargés sur l’épaule. Les munitions plaquées sur le ventre, sur le côté et sur le bas du dos.
Croyez-moi, ils n’ont pas l’air franchement de jeunes carabins avec leurs tenues vertes et leurs carabines.
En fin d’après midi, les hommes nous abondaient de leurs milles perdrix grises encore chaudes mais sans vie.
Ce gibier, dit aussi perdrix commune, a une viande forte et poivrée appréciée des connaisseurs.
Il n’y avait point de bartavelle.
Les mères cuisinaient les oiseaux, déplumés avec soin, dans une sauce au poivre et les accompagnaient dans les assiettes de patates sautées ou de pommes de terre cuites à l’eau. Dans la journée, les mères papotaient ou crayonnaient les mots croisés sur le journal du week-end.
Pendant ce temps, Éric et moi devions rester toute la journée aux pénates. On s’ennuyait, Éric et moi, au milieu de tout cela.
Nous étions strictement interdit de jouer tout les deux dehors sur la parcelle du terrain et des alentours pour ne pas être percés malencontreusement par les plombs échappés des fusils des époux ou des autres.
Paolo me conduit en voiture à l’école. Il est inquiet. La tempête a frappé durant toute la nuit. Et Paolo craignait ce que nous allions découvrir ensemble. En milles morceaux, le bateau de Paolo était déchiré sur la plage. La coque ouverte comme une femme césarisée, ici, sur la plage, le moteur noyé dans une flaque d’eau et plus loin le chiotte bel et bien sorti et arraché du ventre de sa mère.
Le carré du bateau était équipé d’un petit chiotte blanc. Carrément pas courant pour une pirogue de ce gabarit.
Le carré a été déchiqueté. Une véritable mise à mort.
Pour la première fois, j’ai vu Paolo dénudé de son armure. Les yeux humides. J’aurai presque dû mettre en boîte, pour garder en souvenir, une de ces larmes embryonnaires dévoilant sa tristesse.
Par contre, son visage, lui, ne cachait pas sa stupeur. Blanc.
Moi, à ce moment, j’ai compris qu’il n’y aurait plus aucunes virées en mer avec le Laure-Eva.
Plus tard dans la journée, en récréation, j’ai pensé inévitablement à toutes ces heures passé sur l’eau quand nous allions, Paolo et moi, poser et remonter les trois casiers et les deux filets.
Je savais que les parties de pêche à la traîne en famille pour pêcher les maquereaux il n’en y aurait plus non plus et Moun ne nous ferait plus jamais ce potage qui exaltait tant la famille et tous les autres amis.
Sur cette plage de Toulhars, en fonction de la météorologie, les élèves se dépensaient scrupuleusement en fonction de l’énergie et de l’exigence de la maîtresse pour exercer les heures d’éducation sportive.
Sur cette plage au soleil.
Après le bateau en bois, un chien à poils courts.
C’est une femelle.
Son manteau est fauve.
Le poil est court.
Le boxer est un chien réputé pour sa force musculaire et son caractère docile avec les enfants.
Un matin, je me suis caché derrière la réserve de vin au fond du garage de la maison. À cet endroit précis, le sol est en terre battue, au fond du garage. Par terre, les insectes grouillent. Une quantité de fourmis, des araignées, trois, quatre, des pinces-oreilles, une famille de quatre membres.
Je m’étais caché derrière la réserve de vin pour sécher les cours de dix heures du matin échappant ainsi à un contrôle de mathématiques.
Je suis au collège depuis un an.
Mon père doit sortir le chien maintenant.
Lili.
Malheureusement, la chienne s’est pointée directement sur la cachette. Ma présence n’avait pas échappé aux fosses nasales de Lili.
Paolo s’approchait aussi pour attraper le chien qui lui désobéissait. Tandis que j’essayais de rebrousser en silence l’élan de la chienne, je feintais mon père au mieux de mes possibilités.
À cet instant, je me suis rappelé que j’avais des toutes petites couilles. Lili retrousse finalement son corps fait de muscles solides. Son museau noir et carré a suivi les appels draconiens du paternel. J’ai bien failli me faire débusquer. Papa était à deux pas de ma cache.
Finalement la chienne est montée à l’arrière de la caisse du vieux Paolo.
C’est l’été.
Nous déménageons de Larmor-Plage pour habiter Ploemeur.
Moun et Paolo ont fait construire une maison contemporaine sur le dernier terrain d’une zone constructible à St-Bieuzy.
St-Bieuzy est un lieu-dit entre la côte et Ploemeur.
Ploemeur caresse les murs de certains immeubles de Lorient. Sur la côte, il y a Lomener. C’est une bourgade de mille six cent cinquante cinq habitants. Elle fait parti de la circonscription de Ploemeur.
St-Bieuzy n’est pas une station balnéaire du tout. Du coup les happy-few ne s'y collent pas du tout ni même ne s’y attardent.
Pour la rentrée des classes je passe en cinquième et je n’aurai plus de car à prendre pour me rendre à l’école.
J’affronterai dorénavant le vent, la pluie en vélo.