Chapitre 7
C’est l’été.
Maman a acheté une maison en résidence à Quéven dans un nouveau lotissement en construction.
Dix mois plus tard.
J’entends mes camarades de classe du lycée Paul Cornu parler des bienfaits du cannabis. Mais comme tout autre produit illicite ou autorisé, c’est un produit à consommer avec modération.
Bien entendu.
Par ailleurs, ceux-ci insistaient sur la toxicité non négligeable du produit en cas de surconsommation.
Un mois passe.
Je suis avec trois potes pour m’enfiler quelques bières caché dans un débarras du dortoir. Connaissant mes alcooliques de l’instant je m’attendais à ce quelqu’un roule un pétard.
Je les avais suivis un peu pour cela d’ailleurs.
Le manque d’affection paternelle m’avait incité à fumer.
Après avoir mangé au réfectoire de l’école, j’ai rejoint la salle d’étude des filles. Elles devaient maquiller les garçons pour la soirée.
Une troupe d’élèves, musiciens en herbe, avait eu l’autorisation du proviseur d’organiser au sein de l’établissement un concert privé pour fêter la fin de l’année scolaire.
Je m’assieds sur une des tables de la salle d’étude pour me faire maquiller.
Mes pieds et mollets sont dans le vide.
Le concert commence.
Les filles et les garçons sont sortis comme un troupeau de gnous traversant le fleuve. Moi je me suis allongé sur la table à moitié maquillé pensant pensé pensif un simple instant. Pas tendu du tout, je suis resté étendu sur la table éveillé pendant près de deux heures.
Quand je suis arrivé dans la salle de télévision organisée à l’occasion en grande salle de concert la pièce se vidait, et tous les internes rejoignaient leurs chambres.
Je n’ai rien vu du concert.
C’était mon premier joint.
Fin juillet.
Je suis à un anniversaire sur Larmor-Plage, cité balnéaire, avec un proche de Quéven, Moustapha.
Moustapha a les cheveux blanc gris, et court.
Moustapha est marocain.
En milieu de soirée nous décidions de sortir en discothèque.
Le Symbole est un vieux moulin au bord d’un étang qui a été réhabilité en dancing à un kilomètre de mon ancien collège, l’école Notre Dame de la Terre.
Il n’y avait pas assez de place dans les carrioles pour transporter tout le monde. Une copine, Moustapha et moi partons en stop.
La copine aura plus de chance seule pour se faire prendre.
Nous préférons la laisser en avant poste.
Moustapha et moi avons marché un kilomètre quand nous nous imaginions déjà continuer le reste du chemin à pied.
Quand une Ami 6 vert olive, une vieille Citroën, se pointa vers nous deux à pas d’escargot.
Le conducteur de l’engin était grand et élancé. Mal rasé, un poil barbu, une queue de cheval.
La trentaine.
Le pilote de l’engin, immatriculé Morbihan, tient une canette de bière à la main. Les deux vitres des portières avant sont grandes ouvertes.
Moustapha s’installe devant.
Moi, je suis monté derrière assis au milieu.
Le belge redémarre sa caisse.
Son accent la trahit malgré son 56 au cul.
Moustapha remonte le pare-soleil devant lui qui se rabattait trop souvent.
On roule toujours. Le belge lui demande :
- Il te dérange le pare-soleil ?
Moustapha un peu inquiet :
- Ben...
Pour reprendre très vite :
- Ben oui ! Un peu...
Le mec a stoppé subitement sa caisse sur onze mètres.
Peut-être treize.
Les pneus ont couinés sur le bitume encore chaud de la journée.
Le mec arracha le rectangle de plastique le jetant par la fenêtre.
Nous repartons à pas d’escargot.
Plus loin un quidam est à pied sur la chaussée dans le sens contraire de notre route.
Moustapha et moi :
- C’est un pote à nous !
Le mec a stoppé son Ami 6 sur onze mètres encore faisant grincer une fois de plus ses quatre caoutchoucs sur le revêtement anthracite.
Notre pote avec sa moto :
- J’ai perdu une pièce du moteur.
Le belge :
- On peut mettre ta moto dans le coffre.
Notre pote :
- Non. L’essence va couler à l’intérieur.
Le belge insiste :
- On va mettre ta moto sur le toit de la voiture, j’ai une corde solide dans mon coffre.
J’interviens :
- Non. Je ne connais pas tes lois du pays, mais en Bretagne, c’est pas possible de charger ton toit sans une galerie adaptée.
Le belge m’a regardé ahuri.
Le pote a repris sa route la moto dans les bras.
Quand à moi et Moustapha, nous avons continué avec le mec décidément attaqué du cerveau.
Qu’avait-il pris en plus de sa bière ?
Un trip ?
Des cachetons ?
Des champignons hallucinogènes bretons ?
Sans même avoir mon permis de conduire, j’ai pensé :
- Je devrais peut-être prendre le volant, une fois.
Nous sommes devant le parking de la discothèque. Le belge s’arrête et nous lance :
- Je vais me taper le panneau de signalisation indiquant le parking !
L’étranger enclenche une marche arrière. Il prend impeccablement le virage serré en forme de coude.
Devant le panneau de signalisation, j’ai pensé :
- Il va pas nous faire ça ?
Cherchant désespérément le regard de Moustapha pour sauter ensemble de l’engin avant les gros dégâts, je mate le panneau encore neuf.
Le mec décidé a lancé sa ferraille sur la tige métallique.
Le pied du panneau a plié.
Dans le parking, je m’attends au pire.
J’ai pensé :
- Il va nous percuter deux ou trois caisses, c’est sûr...
Subitement, j’ai craint notre chauffard capable de taquiner certains véhicules les poussant véritablement dans l’étang.
Mais le mec nous a déposés sagement, innocent même, devant l’entrée du Symbole.
Le belge reprenait-il sa raison ?
Moustapha et moi avons regardé le trentenaire sortir du parking.
Nous nous sommes regardé.
Il me semble que notre pensée était identique.
Le belge est sorti du parking sans incident.
Moi et Moustapha :
- On revient de loin.
Nous sommes fin août.
J’ai obtenu mon permis de conduire.
Je ne me suis pas séant dessus.
C’est l’hiver.
Je prends mon train pour Lorient.
Au Mans, je descends pour ma correspondance quand la voix du haut-parleur m’annonce un changement de quai pour cause de travaux.
Au quai cité, peu de voyageurs.
Après huit minutes, je suis allé chercher des news à l’accueil.
Il n’y avait pas de changement.
J’ai deux heures maintenant à attendre le prochain train en destination de Quimper. La gare de Lorient est sur le chemin.
Réfugié dans une cabine téléphonique vitrée, je téléphone à Moun pour lui prévenir mon retard.
Elle me dit :
- Je laisse la voiture sur le parking de la gare, les clés à l’intérieur de la jante avant côté conducteur.
J’ai dû boire un verre dans un bistrot en face de la gare pour ne pas prendre racine dans le hall.
- Une pression s’il vous plait...
Le barman me sert.
Moi :
- Merci.
Les carreaux de la vitrine du bar sont embués. J’ai passé ma main sur la fenêtre pour regarder les passants dans la rue en me disant certainement que ces gens n’étaient pas très loin de chez eux.
J’ai bu ma bière.
J’ai payé le garçon.
J’ai rejoint le quai.
Le train est là. Moteur éteint. Je monte dans un wagon vérifiant encore la destination dans le couloir de la voiture.
Paris-Auray.
La locomotive et son arrière-train s’arrêtait juste avant Lorient.
J’étais fou.
Un Paris-Auray.
De souvenir de voyageur, je n’avais jamais vu cela. Il était trop tard pour retéléphoner à Moun. Le téléphone portable n’existait pas. Je me suis choisi un compartiment et j’ai attendu Auray.
En face de la gare d’Auray, une boulangerie.
Le boulanger est dehors. Il fume sa clope.
Je lui demande la direction de Lorient.
J’ai marché une heure sans voir un panneau de signalisation quand je suis arrivé finalement à vingt et un mètres de la boulangerie. Devant moi un panneau m’indiquait Lorient dans le sens opposé à celui que m’avait indiqué le con de boulanger. Son pain et ses croissants devaient être certainement très bon, mais sa chair de ses mollets j’aurais aimé la croquer de toutes mes forces comme un chien enragé errant.
J’arrive à un carrefour.
Une nationale.
Il fait nuit.
Froid.
Je m’installe pour faire du stop. Je n’ai pas envie de déranger maman encore une fois.
Lorient est à trente cinq kilomètres d’Auray.
J’ai attendu vingt trois minutes.
Une seule voiture.
Il y a une cabine téléphonique dans un angle du carrefour. Je m’y rends. La température ambiante est en dessous de la barre du zéro.
Moins six degrés Celsius.
Je téléphone.
Mal réveillée, maman me lance :
- Continue à faire du stop, Andy.
J’ai raccroché en furie.
J’ai attendu neuf minutes avant qu’un trente trois tonnes se pointe sans s’arrêter. J’ai dû attraper en vole mes papiers Canson envolés, mes formats raisins, mes calques et mes dessins avec mes pieds et mes mains.
Là, j’ai failli craquer.
Je resserre mon carton à dessin.
Je suis fatigué.
Je retéléphone à Moun.
- Maman...
Elle me coupe :
- Andy, où es-tu ?
- À Auray...
Elle reprend :
- Je viens te chercher.
En attendant son secours, je suis resté dans la cabine pour me protéger du vent sec et froid évitant ainsi les anfractuosités cutanées désagréables.
Dix huit minutes.
J’ai vu deux voitures passer. Une rouge et l’autre était jaune.
Le postier peut-être et les pompiers.
Je vois Moun arriver au loin.
Le feu est vert.
Elle trace. Elle ne s’arrête pas.
Je sors de la cabine téléphonique.
Maman ne me voit pas.
J’étais fou.
Trois fois.
J’ai attendu cinq minutes pour voir Moun revenir.
Je monte dans la voiture.
Soulagé enfin d’avoir trouvé mon moyen de locomotion, j’ai augmenté le chauffage même s’il faisait déjà meilleur dans l’habitacle.
À Quéven, le jour se levait.
Moun s’est arrêtée à une boulangerie.
Une baguette encore chaude et bien croustillante.
Cinq mois.
Je viens d’achever mes trois années d’étude. Mon CAP en poche. En octobre, je rentre à l’École des Beaux-arts de Lorient. Je n’aurai plus ces longues heures de Corail et de rail le week-end.
Mille deux cent soixante trois heures de train.
Entre l’École des Beaux-arts de Lorient et de chez Moun il y aura trente trois minutes de bus deux fois par jour.
Les cours de sculpture, de perspective approfondie, de dessin de nu, de peinture sont nouveaux et passionnant pour moi.
Mon professeur de peinture était Monsieur Georges Le Bayon.
Il y avait des cours d’histoire de l’Art avec Madame Gaillard.
Madame est parisienne.
Je crois que beaucoup de garçon l’appréciait.
En fin d’année, nous devions défendre farouchement notre projet artistique devant les professeurs pour valider nos Unités de Valeur acquis au cours de l’année scolaire.
Fin juillet, j’étais en vacances au Portugal avec Paolo.
Quinze jours.
Au nord de l’Espagne sec et aride, j’ai découvert au loin ce qu’était un troglodyte. Il y en avait plein près de Burgos sur le flan d’une falaise des Monts Cantabriques.
Au nord de Porto, la région est humide et verdoyante comparé au plateau de la Meseta espagnole.
Les maisons et les églises sont recouvertes de faïences blanches et bleues. Spécialité du pays. Nous sommes en villégiature dans une villa typique de la région justement avec ses faïences locales tout plein sur la façade.
Nous nichons à Viana do Castelo près de Porto.
La porte d’entrée est au premier étage.
Un classique portugais.
Une verrière se trouve à l’étage. Elle donne une vue plongeante sur le jardin, derrière, et une vue panoramique splendide sur la vallée. Tout est vert. Une seule villa se détache de ce paysage à trois cents mètres. Le toit est fabriqué de tuiles orange. La construction, façades et pignons, est habillée d’un crépi jaune orangé appliqué à la taloche. C’est une très belle exécution des artisans locaux.
N’oublions pas que les portugais sont de bons ouvriers du bâtiment.
Le benjamin de Paolo, mon demi-frangin de deux ans nommé Wilfried, a avalé un herbicide corrodant son système gastrique. Le désherbant n’est pas commercialisé en France. Mon paternel et sa blonde durent charroyer d’urgence le demi-frangin à l’hôpital de Porto.
Un lavage d’estomac était nécessaire.
Wilfried a été hospitalisé deux jours.
Paulette, la blonde de Paolo, dormait la nuit au chevet de son fils.
Le lendemain de l’accident, Paolo, Léonardo et moi avons mangé une viande rouge, un steak saignant accompagné de patates sautées.
Un peu de sel, du poivre.
De la moutarde de Dijon importée de France.
Du pain. Du beurre.
Une petite pastèque à nous trois pour le dessert.
Paolo s’est pris un café en supplément.
Nous allons rejoindre Paulette et Wilfried. Mais parce que les enfants et les adolescents n’étaient pas autorisés à rentrer au sein de l’hospice au dire de Paolo, celui-ci nous lance :
- Je reviens dans vingt trois minutes. Restez dans la voiture.
Paolo préférait certainement rester seul avec sa blonde. Une complication irréversible n’était pas exclue vu le poison ingurgité par Wilfried.
Finalement notre père nous a laissé poiroter deux heures dans sa ferraille violette.
Devant l’établissement, des taxis jaunes aux toits noirs attendaient là silencieusement en mode stationnaire restant scotchés sur le bord des trottoirs. Les voitures, noires et jaunes, suaient sous la canicule devant les murs et le porche de l’hôtel-Dieu.
Léonardo et moi étions en sueur. La voiture était inondée. Nos pieds trempés. Les quatre vitres des quatre portières sont ouvertes au maximum mais il n’y avait pas de vent.
Pas de vent, pas de courant d’air.
Deux heures passent.
Toujours pas de Paolo.
Léonardo et moi devenions impatients, inquiets et silencieux.
Wilfried avait-il déjà rendu son âme ?
Paolo revient.
Léonardo et moi avions échappé à une insolation.
Le lendemain Paolo est retourné seul à l’hôpital chercher Wilfried et Paulette revenu épuisée par cette lourde épreuve.
Elle avait dû perdre trois kilos.
Au retour du Portugal Paolo m’a déposé chez un ami en Charente-Maritime. Clément est un ancien de Quéven qui a suivi ses parents.
Son père est militaire.
Clément me suit pour monter sur Lorient. Avant de quitter le lieu, nous avons ingurgité comme deux louveteaux affamés un copieux petit-déjeuner.
Banane
Pain beurre.
Jus d’orange.
Yaourt aux fruits.
Une Granny-smith.
Des céréales.
Du lait demi-écrémé.
Café.
Sa mater nous dépose sur la départementale en sortie de Rochefort.
La D137.
Sortie de ville.
Dix heures du matin.
Samedi 1er août 1987.
Dans nos bagages, il y avait fringues et affaires de toilettes. Ma tente canadienne et pas un sou dans la bourse. Une bouteille d’eau minérale. D’après un trajet parcouru deux ans plus tôt entre Lorient et Caen, j’imaginais la Bretagne pour la soirée. J’avais rassuré Clément de part mon expérience.
Après trois quart d’heure sur place nous avançons à pied pour rejoindre l’autoroute.
Les véhicules sont trop chargés pour s’arrêter. Clément et moi dûmes trotter et border le bas-côté. Deux heures sous le soleil. 32 degrés Celsius. L’odeur du bitume mélangé aux gaz des voitures devenait âcre et pénétrant. Le bruit des bolides bruyant. Les lignes blanches discontinu interminables.
Enfin La Rochelle qui a été le plus grand port français d’importation de bois exotique.
Huit heures de stop.
Nous n’avions plus de force pour lever le pouce s’en fatiguer la saignée. Tenir haut le coude devenait difficile.
Notre bouteille d’eau est vide.
Nous avons posé notre bivouac deux heures plus tard à La Roche-sur-Yon autour d’un buis bien taillé derrière un rond-point à l’extérieur de la ville.
Il est 22 heures.
Sur le pignon du bâtiment qui se trouve à côté, un entrepôt, un gigantesque ventilateur de plus de trois mètres de diamètre se déclenchait avec vacarme tout les quarts d’heure. Il tournait bruyamment dix minutes.
Un cri dans la nuit.
Pas dormi.
Le terrain est bosselé.
Au petit jour, Clément et moi avons été pris en stop en deux minutes par une quadragénaire. La chance nous revenait.
La dame aurait certainement aimé nous avoir tous les deux dans son pieu ou dans sa chambre d’hôtel. La dame nous a fait des avances. Mais Clément et moi n’avons pas répondu.
- Vous êtes mignons tous les deux...
J’étais sur le canapé arrière.
J’aurai été assis sur le siège avant, côté passager, je lui aurai mis la main gauche sur sa cuisse. Peut-être. Elle n’était pas vilaine. Je lui aurais pris son séant dans sa voiture caché derrière un buisson en fleur.
Clément aurait pris son petit minou.
Entre La Roche-sur-Yon et Nantes, nous aurions pu trouver un coin désert et tranquille.
La dame nous a déposés à Nantes.
Dommage, j’aurai bien profité de son home, de son pieu et de son corps.
Aussi, nous aurions pu manger chez elle un casse-croûte jambon, beurre, cornichon.
Un thé chez Madame.
Clément et moi avons traversé la ville. Nous évitons les trottoirs ensoleillés. Nous ne sommes plus loin de la déshydratation.
Nous avons attrapé la rocade nord.
Dans une propriété à proximité, les volets sont fermés. Dans le jardin, des abricotiers, des pêchers et des pommiers. Ce ne sont pas des Granny-smith. J’ai volé des fruits pour sauver notre vie et pour guérir notre santé. Les mille fruits ont vite reposés notre poche gastrique en demande.
Une carriole s’arrête pour nous.
Enfin.
Le trentenaire va sur Lorient.
Il y a deux enfants avec lui.
Les siens probablement.
Clément et moi sommes arrivés sur Quéven à 17 heures, le bout du nez et les pommettes brûlées.
Le sucre des fruits avait attaqué nos lèvres au soleil.
Crevasses et gerçures.
Clément est resté chez Moun le temps de la durée du Festival Interceltique de Lorient avant de repartir en Charente-Maritime. Dix jours.
Clément a préféré redescendre en train.
Nous nous ne sommes jamais revu.
Clément voulait être cinéaste.
Fin août.
Je suis parti rejoindre à Sarzeau le frangin de Gérard et toute son équipe. Gérard, c’est un ancien camarade de classe du collège Notre Dame du Pont de Lanester.
Anniversaire.
Vendredi soir.
La soirée se passe sur un terrain boisé sur la presqu’île de Rhuys pas très loin du Château de Suscinio. Nous avons bu. D’autres ont fumé. En milieu de soirée nous partons en boîte.
Moi, je n’étais pas damoiseau, j’ai passé toute la soirée dans un chiotte, la tête dans la cuvette, à genoux.
Le parterre était déjà trempé de pisse et de flotte.
Pas fier.
En rentrant de la boîte de nuit, le frangin de Gérard, Marco, a pincé une autre voiture dans un long virage.
Marco roule en 2 CV.
Elle est verte.
Elle aussi.
La 2 CV n’a pas résisté devant l’autre véhicule plus lourde et qui roulait certainement trop vite. Gérard et moi sommes arrivés six longues minutes après.
Gérard conduisait.
Les urgences ne se sont pointés qu’une heure après.
Une heure trop tard.
Dans les couloirs de l’hôpital de Vannes, je suis tombé dans les pommes après avoir vu la copine de Marco en sang. Son visage couvert de blessures.
Gérard et moi sommes rentrés en fin de matinée sur Lorient.
Le lundi matin, Marco a été transféré en urgence en hélicoptère sur Nantes pour une complication. Marco est mort dans la journée d’une hémorragie interne. Son sang coulait dans ses tripes depuis deux jours.
Pour se rouler une cigarette, un joint peut-être, Marco aurai laissé le volant à sa copine.
Sa copine aurait légèrement débordé sur la ligne blanche.
La ligne blanche est rouge maintenant.
Dans cette affaire, j’ai été certainement considéré comme un poison pour certain.
L’équipe de Marco accueillait rarement d’autres personnes et j’y étais invité pour la première fois. Il y avait des cousins et des amis. Nous sommes dans le pays de Gérard et de sa famille.
Évidemment, je n’y étais pour rien, mais pour certains d’entr'eux, j’ai été l’élément perturbateur de la soirée. Celui qui avait porté la poisse.
Du moins, c’est l’idée que je m’en étais fait.
J’ai gardé cette sensation de culpabilité plusieurs mois.
Huit mois.
Neuf mois peut-être.
Marco venait d’avoir ses vingt et un balais.