Chapitre 12
Alex est mon nouveau voisin de palier. Alex a des petits yeux noirs et brillants tel une petite fourmi rouge exotique. Alex est petit. Presque fétiche. Cheveux toujours mal coiffés, tout ébouriffé.
La petite fourmi a toujours de lourdes ondes sonores dans son appartement qui font vibrer l’ensemble des quatre murs de la fourmilière.
Le son bourrine.
Techno underground.
Ce n’est pas du David Guetta ni du Carl Cox mixant en discothèque.
Non.
Ces deux ne sont pas mon style.
Affaire de goût.
Que préfère mon aïeule entre le sel et le poivre ?
Un son bien rangé, gens bien sapé.
Moi, j’ai mon blue-jean déchiré pour la saison ensoleillée. Courant d’air sur les poils des cuisses et le caillou des genoux. J’ai mon blue-jean idem pour l’hiver mais ma chair, ma peau et mes poils sont plaqués, serrés sous un stretch sable épais faisant office d’un sous-vêtement supplémentaire comme une pellicule isolante. Les vents hiémaux, frisquets et désagréables ne me vaincront pas.
J’ai la parka kaki connue du raver, matelassée, munie de sa capuche fourrée. Mes oreilles à l’abri des vents glacials.
Ma casquette noire aux deux piercings, un sur le côté, l’autre au milieu de la visière, anneau, est l’accessoire frivole pour le fun mais utile au mieux de son efficacité pour oublier la pluie tombante ou le soleil trop chaud.
Cette musique, son des traveller’s, s’est instaurer radicalement dans mes tripes comme une femelle tombe enceinte par accident.
Première free-party en 1999.
322 personnes entre Carhaix et Quimper.
Les teuffeurs dansaient sous une remise dégagée abandonnée dans le vallon d’un bois.
Un seul Sound-system.
Tous les week-ends, je me rendais dans des rave-party avec la smala de la petite fourmi.
Les dancings sauvages étaient alertés sur l’info-line ou communiqués à l’aide des flyers distribués en teuf. Les flyers étaient rangés parfois dans les gondoles de certains lieux culturels.
Pour s’y rendre, un check-point était fréquent sur le parking d’un supermarché. Tel heure. Un traveller, nomade occidental poseur de son, se pointait alors en bagnole pour chercher toute la coterie venue d’horizons variés.
Il y avait deux coups de klaxon. Un bref, un long, et la ruche se mettait en carrosse. Mais certains rancards fussent bidons. Les petites fourmis rouges exotiques rentraient alors chez elles sans leur remède de cheval tant espéré (L.S.D., cocaïne, ecstasy, cannabis). D’autres préférant l’anesthésiant pour doper les vaches et les chevaux, la kétamine.
Attention. Danger.
Au cœur de la foule, un semblant des soixante-huitards et des « Peace and Love » ressurgit.
Les danseurs noctambules de la tribu se calent tous dans le respect de l’individu.
Dans ce monde, la baston n’existe pas.
Ou si peu.
Ici, quand il y a bousculade autour ou sur la piste de danse herbeuse, terreuse voire boueuse l’individu se retourne instinctivement avec le sourire, la main sur l’épaule pour rassurer. Les valseurs, les promeneurs, les mateurs ou les acheteurs et les dealers accostés ne se livrent pas à de la pugnacité. Nous pénétrons dans la haute sphère spirituelle. Le respect de la personne est à son plein.
Ici, une apparence commune n’existe nulle part ailleurs. Une idée de vraies valeurs de l’humanisme. L’écologie et le « tu ne tueras point ».
Il y a des cons partout.
Dans d’autres festivals ou autres concerts même dit reggae trop de gens se culbutent à tout va sans la moindre demande de pardon. Aucun. C’est vrai, en général, l’individu n’aspire qu’à son intérêt. Une communauté ne lui suffit pas toujours pour s’ouvrir à la compassion. Ces moutons individualistes sont, pour moi, comme ces monnayeurs de fond adorant le matérialisme. Tous dans le même sac.
Adorant l’opulence de la surconsommation, ceux-ci somnolent comme ceux devant ce rectangle lumineux de l’information qui camouflent la vérité de ces quelque grand cent gens décideurs.
Ces derniers ne pourront jamais s’insérer sincèrement au sein de la salsa des teuffeurs.
Il y a l’échange.
Restons dans ce faux vrai besoin de sécurité.
L’intox n’est pas loin.
Les tympans du peuple n’ont pas trouvé l’opium.
Nous avons perdu notre vraie pharmacie.
Le sourire doit rester ce reflexe naturel révélateur.
L’enclume et le marteau de cet atelier aux boucles étranges dont les sonorités que l’on peut assimiler à celles des percussions tribales de l’Afrique noire provoquent des ondes lourdes, ravageuses, envoûtantes et où les rifs répétitives permettent, avec leur mélodie, de décalquer la tête d’un gus et de faire décoller ses pieds du bitume. Un instant. Si.
Il faut danser.
Ici, le son foudroyant balance la tête des gens dans le bon sens.
J’adore.
J’ai dégoté ce carton carré douché à l’acide lysergique diéthylamide. Je n’en avais pas gobé depuis l’année de mon départ en Martinique.
Que du bonheur.
Dix ans aussi que je n’avais pas ingurgité de psilocybes. La veille de mon départ pour les Antilles françaises, je m’étais affalé sur le dos d’un cavalier alcoolique perché sur son tabouret de comptoir. Tombé dans les pommes (celles-ci ne sont pas des Granny-smith).
J’ai reçu la petite fourmi et toute sa smala. Infusion de champignons pour danser en free-party. Tenue de soirée obligée, il pleut, une amie rentre chez elle pour se changer. Espérant l’aborder dans son salon, je me lance mais trempé telle une mouche qui pisse, je suis revenu sur mes pas m’éloignant peu à peu d’elle. À cet instant, un flash, sensation hallucinante, j’ai été un lac. Océan de mon corps. La chair n’était plus. Non. Pas d’ossature non plus.
J’étais sur un seul élément élémentaire à la vie.
Encore que. On ne sait pas tout.
L’eau.
Ce fluide en moi était.
J’étais matière comme l’eau dans sa calebasse.
Ou comme le vin dans son calice.
Les champignons hallucinogènes poussent dans les champs de la vache Bretonne pie noire ou de la Prim’holstein, celle-ci fruit de l’industrie.
Leurs taches singulières et variées sont noires. La robe est blanche.
Ou l’inverse.
Parmi les vaches, nul besoin de s’adresser au dealer. Il n’y en a pas. Il faut baisser son dos pour cueillir le psilocybe, fruit de la Terre interdit par la législation. En Bretagne, la dame Nature est généreuse du mois d’octobre à novembre.
Le téton translucide.
Cueillir le fruit au niveau de la tige en la coupant.
Les vaches ont l’air si paisible.
Madame la noiraude n’est plus de ce monde.
J’ai sniffé de la cocaïne une fois pour danser. Avec elle dans le nez, tu gravites les montagnes de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique ou de l’Amérique. Avec, les chemins sinueux et caillouteux paraissent une route nationale privée, lisse et longiligne. La fierté est à son maximum. Assurance infaillible.
Mais la blanche est coûteuse et perfide. Dangereuse. Avec du flouze en poche lourde, le mental instable et fragile va vite noyer le corps dans l’addiction.
De toutes ces drogues, mon bijou est le psilocybe. Cadeau.
Me piquer une veine pour de l’héroïne. Héroïnomane. Non. Sinon la dose serait volontairement surchargée pour me tirer. Et j’espère ne jamais devoir le faire.
Chacun a le choix pour son retour dans l’inconnu en cas de pessimisme réfléchi. Si pessimisme réfléchi existe.
Mais la drogue ne doit pas être ici pour servir des fins destructrices. Le ballon gagnant est dans le filet de la relaxation, de la thérapie ou de la créativité.
Le panier a une ouverture.
Ici, la sortie est donc possible.
Question de volonté.
Le ballon ne doit pas se dégonfler.
Une substance à ne plus prendre, c’est la plante des régions chaudes et tempérées, originaire de l’Inde, la stramoine.
Plante sauvage surnommée « la plante du diable ».
La stramoine est une espèce toxique du datura.
Sous l’emprise des alcaloïdes de cette pomme épineuse, surnom vu la forme du calice, règne une ambiance cervicale imaginaire dans un monde lugubre. L’activité du corps baisse peu à peu et celui-ci plonge dans un océan angoissant d’hallucination ignorée. Des monstres phantasmatiques sombres apparaissent en silence dans la nuit puis s’évaporent aussi vite tels les éclairs de l’orage qui se succèdent silencieux au loin dans l’horizon.
Conscient d’un état semi-hypnoïde, on ne peut pourtant s’en échapper. Le cauchemar glisse et seule votre volonté de sortir de cet état laxatif vous maintient en vie.
La nuit passe et les démons s’en vont.