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Titre du blog : Art-Andy
Auteur : xmissbzh
Date de création : 02-01-2009
 
posté le 21-09-2011 à 21:23:18

2001

Chapitre 13

 





Sur le sol en béton de couleur spécifique en fonction des zones, les légumes tardent. Dans les recoins des machines et sur les tapis bleus roulants aussi. Agent de service en nocturne dans le ventre d’une multinationale en agroalimentaire, je manipule avec force et doigté mon karcher pour enlever les restants.

Haricots verts.

Pommes de terre.

Carottes.

Betteraves.

Couleur nature pour les légumineuses papilionacées.

Du jaune paille pour les tubercules.

De l’orange pour les ombellifères.

Du rouge porphyrique pour les dernières.

 

 

 

Artiste plasticien dans le sang, ce gagne croûte m’offre le pouvoir de jober artistiquement le jour à défaut de pouvoir sauver le monde.

Ce Jésus de Nazareth n’est pas loin derrière.

Mon trublion.

C’est ainsi.

 

 

 

Samedi 20 janvier 2001.

Je déglace mon pare-brise à l’eau chaude. Un litron décoloré dégorgé d’un plastique transparent.

Toujours indomptable au guidon, je vais devoir faire prudence sur la grande route départementale griffant ce beau paysage breton du sud au nord. De Morlaix à Lorient sur la route dite de Roscoff.

Quelle artiste chanteuse, interprète et compositrice est née à Morlaix ?

Brigitte Fontaine.

 

 

 

Devant le carrefour de la départementale, je laisse passer une voiture jaune à point orange allant trop vite. Une coccinelle malade certainement. Jeune pilote néophyte, la première lettre de l’alphabet est posée sur ses miches.

 

Juché au milieu d’un mamelon, ma Fiat Panda a viré sur le bas côté. Subitement sans me prévenir. J’ai contrebraqué. Je freine. La ferraille ne suit pas mes ordres.

Je pense :

- La coccinelle n’a pas volé dans les décors avec le verglas. C’est donc la timonerie de mon véhicule qui a cédé.

Sur les gravillons du bas côté, mon petit animal noir et blanc reprend adhérence continuant sans vergogne en travers de la chaussée. Au milieu de la route, Marie-Antoinette et mon oncle Tonio sont avec moi, tout deux décédés quelques jours plus tôt. Tout va très vite.

De l’autre côté de la voie, le fossé annonce un talus haut d’un étage avec de meilleures pousses de bambou sucrées et juteuses vraisemblablement.

Plus loin, un autre véhicule devant moi vient dans l’autre sens. Elle est rouge.

 

La caisse rouge se rapproche.

 

Je pense encore :

- ... si ma caisse se ploie sur le pied du haut talus, je flanche. Au mieux, je sors paraplégique. Chaise roulante motorisée.

J’essaye donc une nouvelle fois la manœuvre pour m’encastrer dans ce véhicule rouge espérant quelques égratignures. Je tente mon dernier coup de chance.

Il y a eu un choc. Frontal.

Il y a eu un choc. Frontal.

Les deux capots ont plié.

 

Microscopique petite minute de vide.

Le temps passe.

 

Trente sept minutes.

 

Sur mes deux sièges avant, pas confortable, épaule gauche douloureuse, j’étais comme sur la langue d’un dragon pouvant cracher son feu à tout moment. Et je ne voudrais pas brûler vif.

Trop de juifs et d’innocents ont déjà été cuits carbonisés.

Voire jusqu’en cendre.

Les pompiers ont forcé les deux maxillaires de mon animalcule au pied-de-biche.

La dame de l’autre monstre n’a pas un seul ongle froissé.

Moi, je suis transféré sur un brancard dans le bahut au pin-pon écarlate. Luxation du gros orteil du pied droit depuis l’accident. Un gendarme me tend son éthylotest. Je souffle. Alcoolémie négatif.

 

Destination aux urgences à l’hôpital Bodélio. Lorient.

Radiographie.

Fracture de la clavicule gauche.

 

 

 

 

 

Mon aïeule avait eu quatre vingt treize ans.

Belle âge pour s’en aller.

 

Marie-Antoinette, c’était ma seconde maman. Complicité. En sa présence, mes seuls moments de vraie solitude ont été sur le siège arrière de sa Citroën, une Ami 8 rouge carmin. C’est quand elle venait me chercher chez mes parents à Larmor-Plage pour me garder le mercredi.

Dans son break, je comptais silencieux le nombre de feux colorés différents que nous passions.

Un, deux, trois verts.

Un, deux, trois quatre rouges.

Le compte n’était jamais le même en fonction des semaines. C’est ce qui me stimulait.

 

 

 

Maman et la voisine aiment se retrouver pour refaire le monde autour d’un cubitainer de vin.

Côtes-du-rhône.

Bordeaux.

Merlot.

Sauvignon.

Table en bois achetée chez Darty.

 

Les deux commères nasillaient aussi de tout et de rien. De bouffes. De fringues. De mecs. De leurs soucis et de leurs boulots. De leurs soucis de boulots.

 

Après avoir bordé ma grand-mère ce soir là, celle-ci me donna la main. C’est un geste que Marie-Antoinette faisait souvent.

 

En la caressant, j’ai pensé sereinement :

- Si tu nous quittes cette nuit, sois en paix Marie-Antoinette.

Sa mort précipitée n’était pas un souhait mais cette dernière ne parlait plus ou bien trop peu depuis plusieurs semaines.

- Bonne nuit MA Marie-Antoinette.

- Rentre bien MON petit Andy.

J’ai laissé mon aïeule s’endormir. Ces paupières lourdes éclipsant peu à peu ses deux petits yeux verts. Lumière et quiétude. Maman, elle, continuait à picoler dans un verre à pied de chez la voisine du numéro 13.

 

Notre ancêtre ayant retrouvé le ciel durant la nuit, Moun n’acceptait le trépas qu’au lendemain matin.

Deuil.

 

 

 

Nous n’avions pas de nouvelle de Tonio, mon oncle, pour le prévenir du décès. Mon oncle passait de belles journées avec les filles à Madagascar. Peut-être avec une seule malgache.

Ce n’est que sur le parvis de l’église juste avant la cérémonie de l’enterrement que maman apprenait le décès de son frère.

Double mort pour la messe.

 

Avec assurance, j’ai maté le cercueil rentré dans le four. Sanglot.

Il y avait ma cousine.

Mon cousin.

Léonardo.

Ma mère.

 

 

 

 

 

Notre ancêtre avait posé la plante de ses pieds et le pied de ses valises sur les quais de New York City en 1925. Jeune femme, Marie-Antoinette n’avait alors que dix huit ans.

Fille au pair dans les quartiers riches de New York City chez les beaux bourgeois, comme elle aimait si bien le dire.

Ménage, cuisine, repassage, baby-sitting.

 

 

 

Elle rencontra son futur mari dans une auberge à Paterson. Bourgade dans le périphérique de New York City. Breton aussi, lui c’est plus tôt qu’il lâcha sa terre natale.

 

Chose étrange que ce monde est petit. Ces deux là créchaient chez leurs parents respectifs à seulement six kilomètres de distance dans la terra du pays du roi Morvan. C’est en Bretagne.

L’un habitait Le Saint à deux pas de Cavarno. Lieu-dit. Là, mon bisaïeul tenait sa carrière. Excavation de granit. L’autre habitait Le Faouët.

 

 

 

Une fois en Amérique, Zo a produit son pousse-café dans une cave new-yorkaise en distillant des pommes de terre avec son alambic fabriqué sur place.

Je suis fier de mon grand-père. Gaillard et débrouillard.

L’Amérique, c’est l’Amérique.

 

Zo et Marie-Antoinette se marièrent à Paterson en 1929. Peu après, juste avant l’abrogation de la prohibition de l’alcool, les deux rentrèrent en France.

 

 

 

 

 

De retour sur leur terre ancestrale, Zo et Marie-Antoinette construiront leur maison décorée de tuiles orange gardée de près par un hangar au toit en tôles ondulées. Rue Pierre Huet sur la butte du quartier de Keryado à Lorient. Numéro deux.

 

Zo devient maréchal-ferrant. Mais la guerre venue, mon aïeul ne ramassait plus assez de blé avec ces chevaux à quatre fers coiffés de leur simple crinière blanche, blonde, dorée, noire ou gris bleu. N’oublions pas la queue. Leur museau et les deux oreilles.

Des chevaux armés de quatre roues caoutchoutées sable gagnaient du terrain. Zo dut reconvertir la grande salle en piste de danse.

Il y eut le bal tous les dimanches après-midi dans le hangar réaménagé.

De 14h00 à 19h00.

 

Marie-Antoinette était mastroquet derrière son zinc du rez-de-chaussée de leur toit couleur navel.

 

 

 

Zo abandonne le dancing en 1955. Chiffonnier et ferrailleur maintenant, il récupère tous ces fripes et ces vieux métaux achetés à des petits trafiquants.

Il y avait du fer, du laiton, du cuivre, du zinc, du bronze en quantité. L’acier, le plomb et l’aluminium étaient plus rares.

Les guenilles, les oripeaux et les tout autres chiffons, il y en avait.

Zo revendait l’unité à un grossiste sur Hennebont quand le hangar, retransformé pour la cause, était bondé à faire lever les tôles.

 

Hennebont, cité médiévale du treizième siècle est une ville close. Jeanne, veuve de Jean de Montfort, y garda un siège contre Charles de Blois durant la guerre de Succession de Bretagne.

Sauvée par les anglais, la ville fût reprisse par Du Guesclin en 1372.

 

 

 

 

 

Avant qu’elle s’en aille, Marie-Antoinette aimait avec fierté me seriner dans le creux de l’oreille ses souvenirs de guerre :

- Quand je tenais mon bistrot et qu’un chleuh me commandait un café, je crachais secrètement au fond de sa tasse avant de faire couler le petit noir. Et si un de ses camarades boches préférait son ballon de rouge, je coupais son vin à moitié d’eau et...

 

Aussi, elle m’avait conté l’histoire d’un jeune garçon ouvrant précipitamment la porte de son établissement et qui se disait être poursuivi par une meute de boches. Quatre ou cinq soldats.

Sans hésiter, elle cacha l’homme dans la réserve de son troquet. Une annexe dans la courette derrière la maison.

 

Après la guerre, des bruits flottaient que la gestapo avait toujours son réseau opérationnel. Il valait donc mieux se taire de ses actes glorieux.

Ces petits gestes de mon aïeule dévoilés à voix basse, méritant bien ceux à plus grandes échelles des résistants, n’étaient-ils pas que la partie émergée de l’iceberg ?

 

 

 

 

 

Agent de service maintenant dans une petite fabrique de pâtée pour chien et chat, mes yeux ont été plongés mille fois dans une multitude de petits cœurs de poules échappés par mes soins d’un gros monstre gris. Bain de sang.

Aussi, j’ai dû arracher la tête d’un coq pris dans une tige hélicoïde au fond d’une énorme chantepleure industrielle. Il s’en est suivi un mètre soixante trois de boyaux.

Il y a la vue.

Il y a l’odeur.

 

Trop sensible, j’entendais encore palpiter tous ces petits cœurs. Face aux viscères, j’imaginais toujours la digestion de ces bêtes se faire. Trop de sang sur les murs, moi, je voyais circuler le jus de la vigne dans les veines et les artères. Pour cela, j’ai quitté (peut-être lâchement) mon poste de nettoyeur industriel en plein milieu de labeur sans dire mots. Laissant le rouge dégoulinant sur les carrés de faïence. Le karcher baigné dans le sang.

La couleur du film d’horreur en transparence sur le carrelage.

La vue et l’odeur couleur magenta.

 

 

 

Deux mois passent.

 

Le poste de radio est allumé chez mon kinésithérapeute.

Ce dernier me dit :

- Vous avez entendu ?

J’étais concentré sur mes exercices pour guérir mes douleurs de genoux.

- De quoi ?

Le kinésithérapeute reprend :

- Un Boeing 747 s’est scratché sur une des tours du World Trade Center.

J’étais concentré sur mes exercices.

Je lui ai répondu, pas convaincu :

- Ah !

Spontanément, j’ai cru à une plaisanterie douteuse et légère trouvant la blague sur l’avion un peu bidon.

J’ai repris avec conviction mes exercices.

 

En rentrant chez moi, j’ai allumé le poste de télévision machinalement. Il y avait cette image d’une tour en feu. Un avion avait frappé la cime. Impact entre les étages quatre vingt treize et quatre vingt dix neuf. Des êtres vivants sautaient du haut de ce grand totem. J’ai cru trois secondes à une spectaculaire sacrée bande annonce pour un film catastrophe hollywoodien à grand spectacle.

Mais non.

Les commentaires étaient d’actualité.

- Un Boeing a touché la tour nord des Twin Towers ce matin à huit heures moins le quart, heure américaine.

J’ai repensé autrement à la blague de mon kinésithérapeute.

 

Le deuxième Boeing a percuté la seconde tour en direct.

J’ai pensé :

- Ils sont fous.

 

Les Twins se sont effondrées.

Le monde allait changer.

 

 

 

 

 

Jeudi 27 septembre 2001.

 

Que pouvions-nous faire pour guérir ce monde ? Moi, je tapais sur mon clavier depuis trois jours avant le double attentat dramatique du 11 septembre pour écrire les premiers mots de cet ouvrage. Essai autobiographique.

 

Que pouvais-je faire de plus sinon que de continuer à mettre sur l’écran ces quelques mots fragiles ? Au moins s’ils prouveraient l’importance de la vie dans la force et l’espérance d’un seul être, j’aurais gagné mon combat.

 

Ne trouvant pas la suite ce soir là, je sortis boire un verre. Le lendemain matin, j’étais dans un lit pour la première fois entre deux canons.

 

Dans la nuit, l’une s’était endormie aussitôt. Quand à l’autre, alors que j’essayais de négocier avec beaux mots et belles caresses pour tirer un coup, la fille me souffla :

- Attention à toi Andy, je suis une fille dangereuse.

Moi, dans mes pensées :

- Eh bien, c’est pas gagné.

 

Barbara Love, blonde, germaine et soviétique avait l’allure d’une petite sauvage espiègle devant le zinc du Roses Bowl’s bar.

Trente et un ans.

Alice Wolgman, quarante six ans, juive et parisienne, a un fils. Neuf ans. En 1969, Alice a dû suivre ses parents pour vivre en communauté dans un kibboutz en Israël.

C’est une kibboutznik.

Ce voyage, sous le signe de la convalescence, devait guérir Alice d’un traumatisme.

 

Commentaires

sandie le 24-10-2011 à 06:30:54
T'inkiet je sais direct par mail quand tu publies...

Bises
xmissbzh le 23-10-2011 à 15:21:11
miam, miam.

dit moi sandy, j'espère que ta patience d'ange ne faillira pas en attendant la suite de "la fille de Madame Kerplouz".


sinon j'aime cette idée de prendre en photo les dix objets perso avant que les flammes envolent tout (il me faut prendre le temps d'acheter des piles pour mon appareil photographique numérique).

et je te poste cela.


bye bye


j t'embrass

à+
sandie le 23-10-2011 à 14:13:19
Je ne suis pas là pour juger, mais savourer...
xmissbzh le 22-10-2011 à 15:23:44
désolé sandy de n'avoir répondu plus tôt, mais boulot boulot et pas facile d'écrire les derniers mots de ce livre.

le choix entre se dévoiler à nu et de tout garder pour soi est difficile.


Aussi l'intérêt est d'accompagner le lecteur jusqu'au bout sans devoir le décevoir.

ainsi, depuis peu, je pense à toi me disant :

- Que va penser sandy sur ces mots?

bye
sandie le 12-10-2011 à 16:00:05
Bon bon bon ...ya qqun ???
sandie le 22-09-2011 à 13:07:45
Chapitre 13 est ce un hasard ???


Difficile à lire pour moi, ce chapitre me renvoyant à ma douleur personnelle...


Le départ ( précipité, trop ) de ma Marie Antoinette en juillet dernier et puis ce 11 septembre 2001, c'est évident que chacun se souvient de ce qu'il faisait à ce moment ...Pourtant J'aurais préféré l'oublier...Je n'ai pas vraiment vécu les évennements en live (si on peut dire) je n'ai eu connaissance de cette terrible catastrophe que le 12 septembre au soir.


Pour en revenir à ton récit j'ai beaucoup aimé le passage verglacé de ton animacule et puis l'épisode horrible et pourtant si touchant de ces pauvres poulettes au prise avec un véritable bourreau des coeurs !!


Quand aux deux canons sages situation certainement très agréable ;-)


Ah oui et j'oubliais j'adore Brigitte Fontaine !!!


A+
sandie le 22-09-2011 à 06:20:38
han 6h15 j'te vois en page d'accueil... peu pas lire tout ça avant d'allé bosser, va falloir modifier tes horaires de parution ;-)) .....hop j'ingurgite un début de soupe de légumes et j'reviens plus tard...

(commentaire sans aucun interêt je te l'accorde mais c'était juste pour faire coucou )


coucou !!