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Titre du blog : Art-Andy
Auteur : xmissbzh
Date de création : 02-01-2009
 
posté le 13-03-2012 à 11:22:51

La vie ne tient qu'à un fil

Chapitre 14






C’est le carnaval.

Saison 2002. La dangereuse et moi sommes partis en Suisse pour dix jours. Mais notre venue, ici à Bâle, n’est pas pour un séjour festif. Le restaurant dans lequel nous allions nous enfourner est au cœur de l’Île flottante. Cent trente et un couverts. Digestif à l’œil pour certaines tablées. L’amiral a ses chouchous.

La dangereuse est serveuse.

Moi, commis de cuisine.

J’ai lavé les salades. Je coupais les légumes. La plonge.

La péniche est amarrée, accostée sur le quai, stabilisée sur la rive gauche du Rhin. Un pont n’est pas loin.


L’après-midi, la dangereuse et moi se reposions accoudé sur le parapet du pont au-dessus du fleuve ou assis sur un banc de la promenade du quai quand l’un d’eux était libre.

Pas loin de l’Île flottante, nous avions fait une fois, en milieu de semaine, la pause dans un des plus renommés bistrots branchés de la ville.

Grandes baies vitrées.

Vue plongeante sur le val.


Deux gobelets.

 

Musique puissante.

Basses assourdissantes.

Jazz funk rock dub électro.

Groover et swingueurs.




Un sous-bogue. Une bière rousse. Un chocolat brûlant et onctueux. Un cendrier rond. Trois mégots. Soucoupe grise. Six petits sous sur le dessus du ticket pour régler nos deux commandes.

Suite aux désirs de Barbara qui connaissait les lieux, nous nous refugiâmes dans les water-closets pour tirer un coup.

Minimal support-papier en métal blanc. Aluminium réfléchissant. La cuvette et son indissociable réservoir d’eau et le minuscule petit lavabo sont eux tout blancs. Banalité. La poire de la poignée de la lourde est en bois. Merisier. Sublime manufacture avec ses veines rosées, fines et vernis.

Le papier de toilette est rose.

Le rouleau est à sa moitié.


Décoré sur toute sa surface de carrés de miroir (quinze centimètres), carreaux tapissés au sol, au plafond, sur la porte et sur les trois murs, l’endroit, petit et infini, devenait pour le coup plus intimiste.

Avec ses petites mains Barbara se retenait sur la réserve d’eau pour ne pas basculer. Dégagées de son sous-tif pour m’énerver, ses deux mamelles potelées projetées sur ces milles miroirs ont accentuées ma libido déjà excessive. Gravement. Les bras de la dangereuse prolongeant la petitesse du coin étaient comme deux rangées de colonnes grecques ou romaines. Stables pour soutenir la carrure de Barbara balancée par les va-et-vient.

Moi, j’étais comme un fou à milles queues.


Un encens se consume.

 

Une main sur sa hanche et l’autre accrochée à sa chevelure, j’ai dû larguer mon condiment liquoreux sur ce point G de ces milles vulves.

Nous sortîmes finalement. Sourire discret et regard dans le vide comme si rien n’était.


Dans le couloir une black, ennuyée, faisait la queue seule. Cheveux auburn et raides jusqu’aux épaules.

Africaine à peau noire profond. Avant-bras satinées. Reflet bleu. Gambettes élancées certainement alléchantes mais secrètement cachées par de hautes bottes cavalières en cuir noir et une mini-jupe en daim marron. Collier rock and roll ou punk avec ses clous et bracelet tombant autour de son poignet droit. Grosses perles rouges en terre cuite émaillée.

Blanc des yeux rouge.

Apparition croustillante.

Elle m’a sourie.


Barbara Love la dangereuse jeta ses deux yeux noirs sur le regard impassible de la fille.

Moi, au contraire, je visionnais déjà dans mes phantasmes cette courte vidéo, moi, culbutant debout sauvagement cette inconnue par derrière. La dangereuse, elle, lui mordillant ses lèvres négroïdes et ses tétins aux allures d’olive. Larges aréoles violettes.


L’amiral nous attendait sur la péniche. Dommage.






Fin de semaine.

Retour au bercail.

Sur la place parking de la départementale, des papiers gras et des canettes de bières pliées, des paquets de cigarettes écrasés, des mégots gluants de rouge à lèvres et trois capotes. Dans le fossé, deux couches usagées aux odeurs d’excréments séchés avec le temps et une bouteille de blanc vide. Mais dans ce sucre vinique des fourmis sont là ivres mortes cherchant encore à sortir en vain. Sur le parterre d’autres se suivent en rang vers cet eldorado.

Rêve trompeur.

Je pisse sur le talus. Derrière moi, une revue pornographique traîne. Virevoltant au passage des voitures et des gros camions, deux ou trois pages lâchaient par alternance un impressionnant phallus d’un garçon au torse musclé et une proéminente paire de nichons bombés d’une pauvre blondasse trop souriante.

C’était le garçon et la fille du mois.


Pas loin, le panier à ordures est gavé à dégorger de larges cartons d’emballages.

Pizza à emporter.

Format familial.

Les gravillons du parking, eux, ont tous chacun leurs places sur ce sol goudronné.

Et vous ?

En Suisse, il n’y avait pas un seul papier de chocolat ni un seul mégot blanc, gris, noir non plus sur les trottoirs de la ville.


Sur ce bas côté français, mes papiers d’identité nationale avaient perdu toute leur valeur patriotique. La honte m’envahie.




Deux cent trois kilomètres.

18h07.

Sur la route, chambre d’hôte pour la nuit.

La gérante avait son prénom. L’auberge aussi. L’Auberge d’Hélène. Matelas épais et bien trop flasque. Le matin. Café, croissant. Beurre doux et cotignac. Un œuf à la coque. Un vrai jus d’orange pressé. Yaourt vanillé.

Et une poire.

Nous dînâmes dans un restaurant d’ouvrier sur le bord de la pénétrante traversant le hameau.

Dans l’assiette, un gratin dauphinois. Sur la serviette en papier couleur bordeaux débordant sur les deux longs côtés de la corbeille en osier six tranches d’une demi-baguette coupées en biais de trois à quatre centimètres d’épaisseur sont là disposées alignées. En rang. Une fillette accompagne les deux verres à pieds.

Pour l’harmonie, une nappe écossaise colorée. Ton écarlate en camaïeu surmonté de deux ou trois lignes vertes.

Une blanche.

Deux jaunes.


14h12.

Le patron du garage du village me redonna les clés. Fines mains connaisseuses d’un artisan turc intégré.

Le garagiste aime son métier.

Une pièce du moteur avait cédé au pied de la cité.






Barbara Love la dangereuse, tenez-vous bien, a été ligotée sur le lit de ses parents, enfant. Sa mère, couteau de cuisine à la main, prête à la poignarder au ventre.

Quand par chance, son père arriva en grand sauveur.

Mais Barbara fût violée par un ami de son père pour cadeau comme anniversaire.

Huit ans.

Une enfant.

C’était en Algérie.


Là bas, la petite Barbara flirta avec ses petits pieds ces grains si finement microscopique et chaud des areg. Aussi son regard escalada avec la visée de ses petits yeux bleus ces monstrueux et déferlant rouleaux sahariens.

Tempête de sable.

Retour en métropole.


La dangereuse deviendra fournisseuse de cocaïne. Un gros calibre dans le milieu des média. Pute de luxe aussi dans la jungle politique. Elle le sera après la rue.

Mais cela ne fera pas d’elle un parangon.

Adolescente.


Elle me disait :

- Indépendance et plus de dignité sans patron.

Moi :

- Si dignité il reste, c’est ce que j’en pense.

Elle :

- L’avantage, c’est de ne pas partager son gain avec la patronne ou le souteneur et cela te donne le droit de refuser un client moche.

Encore moi :

- Cela restera le gagne pain le plus ingrat du monde. Te laisser prendre par ces gros paquebots majestueux d’armateurs cachés sous leurs masques ou d’innocents incapables inconnus ne fait pas de toi une gloire.

Elle :

- ...


Elle ne faisait pas ce métier comme Grisélidis Réal. Il y a les bras, les jambes et peut-être autre chose.

Née à Lausanne en 1929, cette péripatéticienne pratiquait le coït tarifié dans un but social. Écrivain aussi et peintre, prise d’émotion pour chacun de ses patients, elle avait son carnet pour noter les envies de chaque clients.

Pute et activiste, elle a été meneuse en première ligne de la Révolution des prostituées à Paris en juin 1975.

Acte politique et révolutionnaire qu’elle disait.

Morte en 2005, cette pierreuse a été transférée en 2009 au cimetière des Rois à Genève, Panthéon helvétique.


Les années passent.

Barbara Love la dangereuse est devenue artiste. Elle peint et dessine. Dans ses peintures déchirées elle ne cache pas la fierté de son lourd baguage torturé. Traits noirs, grossiers et saturés pour ses dessins trop sombres.

Une femme sculptée d’Alberto Giacometti.

Tragique destin.

Autodidacte.






Un drap blanc.

Barbara me jette un œil rassurant puis se laisse glisser sur l’autre fruit rigide. Elle a jeté un petit cri sur l’instant.

Alice me rejoint.

 

Les deux félines s’embrassent.

Bras dans tous les sens.

Un vent imaginaire éparpille chaque cheveu de leur chevelure dorée.


Transpiration.

Les deux longs mamelons d’Alice me chatouillent la peau.

Frissons sur mon poitrail.


Le compagnon d’Alice paraît maladroit. Prunelles rondement exorbitées et deux narines plongées dans une faille humide et profonde.


Les dix doigts écartés sur le torse de chacun, les deux gazelles deviennent malicieusement complices et dominatrices. Et.

Quatre chants de tonalités étonnantes.

Chacun a sa gamme de son.

Symphonie explosive.

Caverne de cyprine.


Puis ?

- Chut !

Chute.

Et silence.

Rosée sur les quatre peaux.






Concarneau.

Deuxième port de pèche après Boulogne et premier port thonier.


Je suis sur ma nacelle du peintre ravaleur.

Du sommet au pied du bâtiment, les cordes liées aux mécanismes des deux extrémités me retiennent.

C’est l’été.

Torse nu au soleil, je badigeonne.

Couche en détrempe.

Cinquième étage.

 

Je monte et descends ma barque motorisée grâce à la manette du dispositif. Quand j’ai voulu atteindre le quatrième niveau, la vieillerie grippa un des moteurs. Humidité du pays. La nef s’est mise de travers. Flottante.

Un mètre cinquante de porte-à-faux.


Pas de harnais (de sécurité) obligatoire.

Mes deux poignes sont accrochées au garde-fou. Mains solidement serrées, gelées par la peur et la froideur du métal.

C’était mon ami.

Prolongement de mon corps.

Un instant.

Perché à quatorze mètres. Posture indélicate. Je visionnais déjà mon enterrement.

 

 

Au pire du scénario, j’étais aspiré par cet océan. Pas loin. Baie de la forêt. Mais une mouette passant par là m’a entendu soupirer :

- Non, pirogue, je ne me noierais pas aujourd’hui.


Finalement, j'ai posé ma nacelle sur le sol. Sans fracas. Sain, sauf et sec sur cette terre des vaches.

Jaunie par la sècheresse, la pelouse a failli être verte aussi de peur.

Et l’herbe passée au rouge aurait été le drame.

 

Certains propriétaires ont vue sur l’océan. Horizon. Long balcon étroit pour chacun. Terrasse de douze mètres carré pour les chanceux du cinquième.






Bord de mer.

Autre site.

Dans le couloir central de l’établissement, kinésithérapeutes et spécialistes chirurgiens font symposium, à deux, à trois, à quatre pour passer quelques mots banals.

- Bonjour.

- Salut.

- Ça va ?

- Tu vas bien ?

Blouses blanches.


Souriantes, les infirmières, elles, longent en silence les plinthes des autres couloirs.

Boulot boulot.

Blouses blanches.


Dans un des carrefours du centre médical, un adolescent vague sur sa chaise roulante. À droite, à gauche.

Casque de cycliste sur sa tête. Joystick entre ses deux doigts de la main gauche pour se guider.

Son casque n’avait pas sa fonction préventive attendu.

Non.

Une tige rigide et allongée au dessus de sa tête donnait l'explication de son port de casque du coup indispensable.

Non, il n’était pas fan de Poulidor, ni accro de Bernard Hinault. Oublions ce maillot jaune ou celui aux points noirs sur fond blanc.

Du bras métallique qui se prolongeait de l’arrière du dossier un fil fixé sur le casque repêchait dramatiquement la lourde tête de l’handicapé.

Une très courte chaîne qui avait sa plus grande importance.

Lunettes de soleil sur le dessus du crâne, je suis resté impassible devant ce jeune adepte du joystick quand un courant refroidissant passa sur ma colonne pour la redresser du coccyx aux cervicales.

Illico presto une gêne dissimulée s’instaura dans mes veines.

Depuis cet évènement, j’ai toujours en vue ce regard du jeune garçon aux chaînons tendus. Toujours.




La vie parfois ne tient qu’à un fil.

 

Commentaires

sae le 16-06-2013 à 14:02:07
Je ne connaissais pas votre blog, je viens de le découvrir, je crois que vous êtes venu sur le mien, j'ai juste recliqué sur votre nom. j'aime beaucoup votre texte que je n'ai pas lu en entier par manque de temps. J'aime beaucoup votre écriture; Ces phrases courtes, abruptes, comme coupées au couteau. Je suis Suisse et comme vous je regrette ses tas d'immondices en France, alors que souvent il y a des poubelles à proximité. J'habite la campagne, et même là les gens n'ont pas la conscience qu'ils salissent ce qui leur appartient. Dommage.
xmissbzh le 18-04-2012 à 14:48:25
réponds-moi par mail. il n'y a aucun souci. à+
sandie le 10-04-2012 à 22:51:41
Il me semble plus simple de te répondre par mail courant de la semaine pro, j'espère que tu n"y vois pas d'inconvénient... biz a+
xmissbzh le 09-04-2012 à 14:59:16
décors bien plantés... quel passage as-tu préféré?

spectatrice... dit-moi quand.

gênée... tu peux garder ton secret.

attendrie... à quel moment ?


tu peux ne rien me dire. à chacun son intimité.

désolé pour ma réponse un peu tardive. biz
sandie le 20-03-2012 à 13:15:15
joliment retravaillé ton texte, décors bien plantés, tout en menus détails, me voilà spectatrice, parfois gênée tantôt attendrie...Très plaisant à lire.


Tiens, là, j'te vois même sourire


Ah oui j'oubliais, je note un nouveau changement de titre, est ce le dernier ? pas si sûr, tu sembles aussi indécis que moi pour le choix de mes titres photos lol


biz a+